1.6 Mika

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— Votre attention s'il vous plait !

La prof cessa son cour, c'était au milieu de l'après-midi. Mika releva les yeux de son téléphone tandis que deux femmes en tenue militaire entraient dans l'amphithéâtre.

— Nous aimerions adresser une convocation à plusieurs élèves de cette classe.

Celle qui avait parlé donna trois noms. Celui de Mika en faisait partie.

— Veuillez nous suivre, s'il vous plait.

Aucune raison expliquée, c'était étrange. Mika rangea ses affaires sous les regards surpris des autres élèves. Très vite, il remarqua que sur les trois appelés, il était le seul à sortir. Personne ne s'en formalisa tandis qu'on le conduisait du côté de l'infirmerie. Les deux femmes s'arrêtèrent devant une porte le firent entrer à l'intérieur d'une salle de classe de petite taille, pour une dizaine de personnes tout au plus, le genre de salle dans laquelle se déroulaient les travaux dirigés.

L'une des femmes s'installa devant lui, l'autre resta en retrait avec une tablette tactile sur laquelle elle prenait des notes. Lorsque la première lui débita ce qui se trouvait sur sa carte d'identité, son adresse et son cursus scolaire, il acquiesça.

— Je m'appelle Adèle Leon, suis assistante de direction pour l'OGRS et je viens de faire le bilan de votre parcours scolaire. Vous êtes en situation d'échec et j'aimerais que nous discutions de votre avenir.

Zut, ça commençait plutôt mal. L'OGRS, c'était l'organisation Gaélienne de recherches scientifiques, autrement dit l'armée. C'était l'OGRS qui s'occupait du programme spatial vers Gaïa, de la gestion des villes gaéliennes, de toutes les administrations gaéliennes... bref, ceux qu'il valait mieux avoir pour alliés que comme ennemis.

— Quel genre de métier prévoyez-vous de faire après vos études ?

— Je n'y ai pas encore réfléchi, répondit-il.

— Pourquoi avoir choisi la filière mathématique ?

— Parce que j'aime la logique des chiffres.

Elle hocha la tête.

— Si à l'issue de cette année je vous proposai un poste à l'OGRS mettant à profit vos compétences mathématiques, seriez-vous tenté ?

— Tout dépend du poste, répondit-il. Mais oui, surement.

— Comptez-vous continuer vos études après cette année, changer de filière ou abandonner ?

— En fait... je pensais rentrer sur Terre.

— Pourquoi ?

— Parce que... ma famille le demande, et parce que je n'ai pas trouvé ce que je cherchais ici.

— Et vous cherchiez quoi ?

Il pinça les lèvres.

— Un truc un peu idéaliste, de la nouveauté des choses à découvrir, tout un monde vierge à explorer.

— Vous n'avez pas accès à tout cela parce que vous êtes étudiant, répondit la jeune femme. En réalité, il y a autant de domaines de recherche sur Gaïa que de sciences sur Terre. Si ce qui vous intéresse est la découverte de territoire, peut-être trouverez-vous votre compte avec l'archéologie ou la géométrie, ou encore la cartographie, qui nécessite d'ailleurs de solides connaissances mathématiques.

— Ah oui ?

— Oui. Vous n'avez sans doute pas étudié toutes les possibilités qui s'offrent à vous. Désirez-vous que je prenne rendez-vous avec vous pour vous faire visiter les installations de l'OGRS ? 

— Non, merci. Je n'ai pas encore fini mes études.

— Bien. Sachez cependant que nous vous recontacterons dès la fin de votre cursus. Vous savez sans doute que l'OGRS finance vos études, et qu'elle a financé la majeure partie du prix de votre billet pour Gaïa.

— Oui.

— Nous avons à cœur de voir nos étudiants réussir. C'est important. C'est pourquoi, si vous échouez à valider cette années, vous serez dirigé vers le service militaire. En attendant, je vous invite fortement à choisir un stage dans lequel vous pourrez tester votre futur métier.

Mika hocha la tête, la gorgée serrée. Non ! Le service militaire ? Sans blague ! Il espérait de tout cœur que ce n'était qu'un moyen de lui mettre la pression parce qu'il était hors de question qu'il passe ses journées à surveiller des coins de rue et à traquer des clodos.

— Je vais maintenant vous poser d'autres questions. Pensez-vous parfois au suicide ?

Cet entretient était de plus en plus désagréable.

— Non, dit-il mal à l'aise.

— Avez-vous des problèmes personnels ? 

— Comme tout le monde, répondit-il.

— Pensez-vous avoir besoin d'un suivit psychologique ?

— Non, non.

— Sachez que si vous avez des problèmes, vous n'êtes pas seul à Nevenoe et que beaucoup de monde peut vous aider. Des professionnels de la santé ou de l'organisation vous aideront à vous en sortir ou répondront à vos questions.

— Bien.

Elle le laissa partir après lui avoir remis une brochure de l'OGRS. C'était un entretien détestable et une méthode de recrutement agressive, mais Mika avait connu la Terre, un lieu où il fallait se montrer servile et prêt à tout pour avoir un emploi, souvent précaire. C'était toujours mieux de se sentir désiré...

Ce qu'il n'avait pas dit à cette femme, c'était que les métiers de l'OGRS n'étaient pas ce qu'il recherchait, pas ce qu'il avait envisagé non plus. En fait, s'il était honnête avec lui, travailler pour une organisation tentaculaire et hiérarchisée comme l'armée n'était pas ce qu'il aurait choisi pour lui-même. Il n'avait même jamais voulu travailler. Lui, ce qu'il aimait, c'était jouer. C'était s'amuser dans ce qu'il faisait. Il avait choisi les maths parce que ça l'amusait, parce qu'il jubilait quand il parvenait au bout d'une énigme compliquée, ou d'un calcul difficile. Les formules se révélaient fascinantes une fois expliquées. Mais l'idée même de les appliquer en situation réelle ne lui avait jamais traversé l'esprit.

Ce constat était plutôt moche pour l'avenir. Il ne voyait pas comment il allait pouvoir continuer à faire ce qu'il aimait s'il se mettait à décrocher des maths. Cette manière de l'ancrer dans la réalité l'avait déprimé. Il ne voulait pas qu'on le pousse d'une manière ou d'une autre à devenir autre chose. Mais aurait-il le choix ? Ce ne serait pas mieux sur Terre de ce côté-là, mais il n'y aurait pas la brume, le soleil n'apparaitrait pas que trois-quatre heures par jour, et il n'y serait pas seul, il y avait sa famille, sa sœur qui allait se marier, qui allait finir par avoir un bébé...

Il soupira.

Si seulement il pouvait échapper à cet appartement rose qui puait la peinture, échapper à l'OGRS qui tentait de le faire travailler, échapper à la logeuse qui feraient n'importe quoi pour se débarrasser de lui, échapper à la surveillance dont il faisait preuve à l'école, échapper à la dépression ambiante, et aussi échapper à tous ces reproches que sa mère faisait sur Gaïa et qui finalement n'était que des reproches faits sur ses choix à lui et qu'il ne pouvait déjà plus assumer.

CALMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant