2.2 Adélie

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Le Clan DeadEye dont Victoria DeadEye était la fondatrice s'était réuni pour fêter le départ audacieux de l'un de ses membres. Ils avaient été jusqu'à commander un buffet et faire accrocher des banderoles dans la grande salle du clan. Adélie se retrouva acclamée par ses frères et sœurs comme une héroïne alors qu'elle s'en allait, qu'elle plaquait tout et que dieu sait dans combien de temps on la reverrait. Elle n'était pas la première à partir pour cette mission suicide. Elle était la neuvième, et le plan prévoyait d'envoyer dix Artiseurs. Un par mois. Plusieurs avaient déjà échoué. Antony Goodking n'avait pas même réussi à sortir des Artiseurs. Pour l'instant, aucun écho n'était revenu des autres, mais ce n'était pas étonnant. Le projet avait été lancé il y avait de cela presque un an, et il fallait bien plus de temps encore pour atteindre les Carliers, tromper leur vigilance et atteindre les postes clefs qui permettraient de renseigner avec efficacité les Artiseurs. Ça viendrait lentement, mais la lenteur était l'apanage des Artiseurs, les seuls capables de concevoir de tels plans à long terme parmi toutes les races du jeu.

Cet soirée-là, le vin coula à flots, on dansa, on fit la fête à n'en plus finir, et Adélie fut couverte de cadeaux. Des fleurs, des gadgets utiles comme une super cafetière, un réveil... On lui offrit aussi des tenues, et de l'argent, beaucoup d'argent pour qu'elle ne soit jamais gênée par ce détail durant sa quête. Puis alors que l'après-midi touchait à sa fin, Victoria annonça la fin des festivités, et prit Adélie à part pour la guider jusqu'à la demeure du président où elle serait briefée sur le plan.

— C'est toi qui m'a inscrite, n'est-ce pas ? demanda Adélie tandis qu'elles avançaient dans les couloirs sombres.

Victoria ne répondit pas, imperturbable et mystérieuse derrière son cache-œil de dentelle grise. Ses talons hauts claquaient sur le sol de métal et lui donnaient un petit impérieux dont elle n'avait pas besoin. Elle avait déjà tout ce qu'il fallait de ce côté-là.

— Pourquoi est-ce que tu veux te débarrasser de moi ? insista Adélie.

— Je n'aime pas les putes, répondit Victoria d'un ton cassant. Pas besoin de ça dans le clan.

— Oh...

Adélie poussa un soupir. Elle ne savait même pas qui était le mec qu'elle avait eu et que Victoria lui jalousait, mais peu importait, cette garce était arrivée à ses fins. Sa vengeance était terrible.

— Tu as intérêt de réussir, ajouta-t-elle d'un ton sec. Mais pas trop vite non plus, parce que je ne veux plus voir ta sale tête de trainée.

— Super, tu es adorable, soupira Adélie en secouant la tête.

— Si tu te désistes, d'une manière ou d'une autre, je te le frai payer. Ne t'avise pas.

— Oui, oui...

La porte du pavillon présidentiel était immense et il fallait un mécanisme pour l'ouvrir tant elle était lourde. Les engrenages roulèrent les uns contre les autres tandis que les lourds battants étaient poussés avec lenteur. Puis enfin, les deux femmes purent entrer. Un Artiseur n'est jamais pressé, de toute façon.

— Les DeadEye ! Je vous attendais ! salua Louis l'Escadrille en venant à leur rencontre. Si tu vaincs, Adélie, tu deviendras une héroïne et l'honneur retombera comme une pluie de pièces d'or sur le clan DeadEye.

Victoria sourit. Adélie grimaça. C'était la cata, la cata intersidérale... En plus de se faire éjecter des Artiseurs, elle risquait d'attirer la honte sur son clan. De toute façon, si elle échouait, elle serait surement virée. Elle n'aurait plus qu'à se rabattre sur des clans moins prestigieux... L'enfer, elle n'était vraiment pas faite pour évoluer au milieu de la plèbe des Artiseurs... Mais était-elle plus faite pour devenir Carlier ? Elle qui avait le vertige, elle qui ne supportait pas la nuit et qu'un couloir sombre pouvait rebuter tellement qu'elle s'était déjà retrouvée incapable de sortir de chez elle parce qu'une ampoule avait grillé.

— Adélie ? 

— Quoi ? fit-elle perdue.

— Je te demandais si d'une manière ou d'une autre on t'avait forcé la main pour présenter ta candidature ? demanda Louis.

Elle frissonna en sentant la main de Victoria sur son bras. Depuis quand la tenait-elle ?

— Euh non, bien sûr que non, frissonna-t-elle.

— Je pose la question parce que je connais mes semblables, sourit Louis avec sympathie.

C'était sans doute ce sourire qui avait dû le faire élire, parce que niveau charisme, il était loin à la traine derrière les autres chefs de clan.

— Voilà qui est rassurant. Bien, alors si tu le veux bien, je vais t'emmener à la salle préparatoire. Victoria, je vous souhaite une bonne soirée.

— Vous de même, président, sourit-elle en s'inclinant avec grâce.

Victoria s'en allait. Était-il temps de tout dire à Louis ? Est-ce qu'elle avait une chance de survivre si elle faisait ça ? Elle en doutait. Une peur bleue lui enserrait maintenant la gorge. Rester calme...

— Ne t'en fait pas, souffla Louis en la faisant entrer dans une grande pièce tapissée de cartes de Nevenoe surannotées. Je sais très bien que tu n'es pas là de ton plein gré. Je te connais un peu, je sais que ta candidature n'est pas ce qu'il y a de plus... conventionnelle. Mais si ça peut te rassurer, tu n'es pas la seule.

Non, ça ne la rassurait pas du tout.

— Je vais te donner une mission préparatoire, je t'expliquerai le reste lorsque tu auras réussi celle-ci. Elle est simple, mais longue et difficile. Ta première étape est d'atteindre le niveau cinquante.

Adélie hocha la tête. D'ici qu'elle y arrive...

— Tu en es loin, et donc, pour faire avancer les choses, nous allons te rusher. Les membres du clan Darwin se sont portés volontaires. Tu te mêleras à eux le temps d'effectuer quelques quêtes de haut niveau qui te permettront d'atteindre rapidement ton objectif. Dès que ce sera fait. Tu reviendras me voir.

— D'accord.

Sa voix était réduite à presque rien. Se retrouver dans un autre clan ! Avec des gens qu'elle ne connaissait pas ! Oh non... C'était absurde, mais elle était tétanisée à l'idée de ne pas savoir comment s'habiller. Qui étaient ces Darwin ? Si elle n'en avait jamais entendu parler, c'était qu'ils faisaient partie du bas peuple de l'usine... Elle n'avait pas de bleu de travail !

— Adélie ? 

Elle releva les yeux. Elle avait fixé le plancher, figée par l'angoisse. Allons, un peu de tenue !

— Tout va bien ?

— Oui, tout va bien, mentit-elle.

Ça se voyait que ce n'était pas le cas. Oh non... ne pas pleurer, ne pas pleurer ! 

— Durant toute cette phase de rush, je te conseille de faire tes adieux à tes proches. Tu vas partir longtemps et tu ne pourras plus avoir de contact avec qui que ce soit du peuple Artiseur. Ce serait évidemment trop... louche.

— Oui.

— Tu devras aussi renoncer à tout ce que tu possèdes. Tu ne pourras plus rentrer ici. Alors si tu as des choses à mettre en ordre, des quêtes à finir...

Elle vacilla, c'était un peu comme si elle quittait le jeu. Ou comme si elle mourrait...

— Miss Bloody est-ce que ça va aller ? s'inquièta Louis en s'approchant d'elle.

La main qu'il lui posa sur l'épaule, elle le vécut comme une agression. Ça n'allait pas, non ça n'allait pas du tout. Elle tituba. Pourquoi le sol était-il si traitre tout à coup ? Et quel était ce bruit insistant qui lui vrillait les oreilles ? Elle comprit seulement ce qu'il lui arrivait lorsqu'elle perdit connaissance.

CALMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant