20.1 Charlotte

19 6 5
                                    


L'OGRS avait appelé. La démission de Charlotte avait été refusée. Elle les avait envoyé se faire voir et avait raccroché.

Là, allongée sur son lit d'hôtel, elle s'était transformée en quelque chose qui ne lui plaisait pas du tout. Elle était une boule de haine, un concentré de rancœur et un gloubi-boulga de dépression.

« Je te conseille de te lever tôt et de fréquenter ceux que tu ne fréquenterais pour rien au monde. » 

Se lever tôt, un jour, elle y parvint. Le soleil se levait à peine et tout était encore silencieux. Mais ceux qu'elle ne fréquenterait pour rien au monde, qui étaient-ce ? Bonne question. Son premier réflexe fut de penser aux églises. Non, non... pas possible. Il y en avait sans doute, mais la religion avait été interdite sur Gaïa. Alors quoi ?

Elle quitta sa chambre d'hôtel et marcha dans les rues de Nevenoe au hasard en regardant tout le monde. Qui ? Qui seraient ceux qu'elle ne côtoierait pour rien au monde ?

La réponse lui sauta aux yeux lorsqu'elle entendit la musique caractéristique de l'une des plaies purulentes de cette ville, les Chiens Galeux. On disait qu'ils vivaient dans les anciennes voies de métro sous la ville, dans les égouts, aussi. On disait que c'était ceux qui n'avaient pas su tenir le rythme, qui avaient cédé au burnout et qui avaient tout plaqué pour devenir la peste de Gaïa. On disait aussi que c'était tous les étudiants en situation d'échec qui avaient été incapables de remonter la pente. Et surtout, on disait qu'ils étaient dangereux, imprévisibles et complètement fous. Avait-elle envie de les côtoyer ? Pas le moins du monde. Ils représentaient tout ce dont elle avait horreur. Tout ce dont elle avait peur.

Ils étaient une petite dizaine, autant de filles que de garçons. Ils n'étaient pas vraiment galeux, mais sapés n'importe comment, avec des couleurs voyantes, des fringues déchirées ou malmenées... bref, anarchiques. Ceux-là écoutaient de la musique, un rock fort et déjanté. D'ailleurs ils parlaient fort, et riaient tout aussi fort. Aussi ridicules que désagréables.

Charlotte les observa en train de chahuter. C'était ça qu'elle devait approcher ? Elle avala sa salive avec difficulté, figée autant d'horreur que de dégout. Elle pouvait déjà imaginer leur haleine répugnante, mélange de vinasse et de bière éventée, et leurs loques devaient empester la clope et la drogue. Elle pouvait presque voir leurs scarifications et les plaies qu'ils se faisaient en se tapant les uns sur les autres, et aussi leurs yeux rouges à cause de la défonce et la crasse sur leur peau. Quelque part, ça lui fit du bien de voir ça. Elle n'en était pas là. Mais bientôt, très bientôt... Non. Elle ne pourrait jamais... Si elle se trompait, si le MJ ne parlait pas d'eux, elle ne les aurait approchés pour rien. Et si c'était pour se faire agresser, autant ne pas y aller.

Elle allait reculer lorsqu'une des filles du groupe lui fit signe, provocante.

— Tu veux quelque chose, la vieille ? Qu'est-ce que tu regardes !

Charlotte les regarda pouffer, et avant même de l'avoir décidé, elle se vit avancer vers eux. Avancer d'un bon pas, même. Elle n'en avait pas envie, vraiment pas. C'était l'horreur, la déchéance la plus profonde qui soit, mais elle y allait quand même.

— Ouh ! Elle à l'air pas contente, fit un des types.

Ils étaient armés. Merde... Elle n'avait pas vu qu'ils étaient armés. Des chaines, des bâtons... putain, une épée ! Où ces cons avaient-ils trouvé des épées ? Mais c'était trop tard, elle ne pouvait plus se dégonfler. Elle s'arrêta devant eux, mais déjà, ils l'encerclaient. Que dire ? Comment s'y prendre ? Elle perdait ses moyens. Peur, panique.

CALMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant