14.2 Charlotte

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Charlotte posa son sac à main dans l'entrée de son petit appartement et alluma les lampes. Aux chaussures dans l'entrée, elle sut que son monsieur était là. Son monsieur, c'était George, prononcé à l'anglaise pour faire plus sexy comme il le faisait lui même avec son accent naturel.

— Tu dors ? appela-t-elle doucement.

— Mmh... pas encore.

Mais il était déjà dans la chambre, et elle pouvait voir à la propreté de l'appartement qu'il avait procrastiné, aujourd'hui. George était étudiant, il était en train de rédiger une thèse sur la faune de Gaïa, et de toute évidence, il peinait à avancer dans ses travaux. Charlotte aurait voulu lui dire que sa thèse n'avait aucun intérêt. Il n'y avait jusque là que très peu de vie animale sur Gaïa, et elle était identique à celle de la Terre. Des insectes, voilà tout. Aucun intérêt.

Charlotte laissa ses clefs dans le panier sur le bar de la cuisine, dénoua ses cheveux blonds trop bouclés et laissa la pince sur le bord de l'évier de la salle de bain. Après une douche rapide, elle enfila une chemise de nuit légère et rejoignit son monsieur au lit.

— Comment ça s'est passé ? demanda-t-il en l'enlaçant, avec dans la voix cette petite déformation due au sommeil qui trahissait qu'elle l'avait réveillé.

— Comme d'habitude.

— Si c'est comme d'habitude, pourquoi est-ce que tu te forces à rester si tard ? 

— Bof, répondit-elle. Je n'en sais rien. Parce que je suis payée pour faire des découvertes et que j'essaie quand même ? 

— Tu m'as dit qu'il n'y avait plus rien à essayer.

— C'est le cas.

— Alors qu'est-ce que tu fais ?

— Je teste d'anciens tests pour peaufiner les résultats et m'assurer que je n'ai rien laissé de côté. J'ai ressorti de vieux dossiers sur les premières expériences, je les mets à jour, je teste tout ce qui n'a pas été jugé nécessaire de tester, je... j'essaie.

Il poussa un soupir et la serra contre lui.

— Ne parlons plus du travail, soupira-t-elle. J'en ai marre de cette brume.

— Oui, moi aussi.

— Et toi, comment ça se passe ton mémoire ? 

— Mmh...

Elle rit.

— Oui, mon Monsieur, j'ai bien vu comme l'appartement était propre, étincelant, même. Je sais, ce n'est pas facile, hein ?

— Non. J'ai essayé de couper internet pour trouver un peu plus de concentration, mais j'ai toujours l'impression qu'il me manque quelque chose. Et à chaque fois que je veux un livre, il faut l'emprunter sur Terre, c'est barbant, il met toujours au moins un mois avant d'arriver en version numérique pleine d'erreurs comme s'ils venaient de le recopier à la va-vite et d'ici qu'il arrive, j'ai fait autrement et je laisse tomber. Si seulement on avait de vrais auteurs ici...

George était parti sur ses plaintes. Pour lui aussi, ce n'était pas drôle. Charlotte se doutait que lui aussi commençait à songer à rentrer. Il y avait quelque chose d'oppressant sur cette nouvelle planète pourtant si semblable à la Terre. Même faune, même flore, même atmosphère, c'était juste l'antiTerre dont on croyait l'existence impossible. Sauf qu'on aurait peut-être pas dû la laisser aux mains des scientifiques uniquement, parce qu'à l'heure actuelle, il manquait quelque chose, quelque chose qui rendait la vie sur Gaïa un brin morne, un chouia vide... et surtout la zone la plus propice à la dépression et aux suicides de l'histoire. D'un autre côté, ça s'était calmé ces dernières années. Pour Charlotte, c'était la brume qui rendait tout le monde fou. Pour George, c'était autre chose. Pour lui, de vrais livres, de vrais tableaux, de vrais musiciens ne pourraient jamais être remplacés par de pâles copies numériques.

Lorsqu'elle s'endormit, après s'être assurée que les rideaux étaient bien tirés, elle se surprit une fois encore à prier pour que cette putain de brume fasse quelque chose, n'importe quoi. Qu'elle engloutisse les habitants de Gaïa tout entiers, qu'elle les broie, peu importait, tant qu'il y avait quelque chose à observer. 

CALMOù les histoires vivent. Découvrez maintenant