Resté seul dans le couloir, Marquand eut à nouveau le sentiment que la réalité était en train de se distordre sous ses yeux. Il se sentait comme étranger à lui-même, comme incapable d'identifier ses propres sentiments.
Alice était en vie et elle allait s'en sortir.
Alors pourquoi avait-il tellement l'impression d'une chute dans un vide sans fin ?
Il s'assit et se frotta les yeux.
Pourquoi cette sensation de vide infini alors qu'Alice était là, certainement tout près, et qu'elle était bien vivante ? La peur rétrospective ? La culpabilité de ne pas avoir ouvert les yeux suffisamment tôt pour la protéger de cette Rachel/Marie si nuisible ? Quoi d'autre bon sang ?
- Fred réveille-toi, se murmura-t-il à lui-même, comme si se parler l'aidait à éclaircir ses pensées floues. Alice va s'en sortir alors bouge-toi et va la voir !
Puis soudain la réalité s'imposa à lui, si fortement qu'il dut s'accrocher aux accoudoirs de sa chaise pour l'admettre. Il su d'où venait son malaise.
D'où lui venait ce sentiment de vide.
Le vide dans sa tête comme dans le ventre d'Alice.
- Oh merde... Fred, c'est ça le problème ? Tu morfles parce que tu as peur de ce vide-là ? Parce que tu croyais quoi, hein ? Qu'un jour c'est toi qui allais le combler ?
Et quand il eut prononcé ces mots, sa main caressant sa barbe naissante, alors le sentiment de clarté qu'il éprouva lui permit de comprendre que oui, il avait trouvé la cause de cette sensation de vide sans fin.
Il se leva et se moqua de lui-même, rageusement.
- C'est ça Fred, tu t 'es imaginé quoi ? Qu'avec ta petite graine tu allais remplir ce vide ! Non mais t'es con ou bien ? Toi et Madame le Juge... N'importe quoi !
Il se leva, furieux contre les événements, furieux contre lui-même surtout. Il avait été incapable de protéger celle qu'il aimait contre les méfaits de cette femme intrigante et manipulatrice. C'est après lui qu'elle en avait, et c'est Alice qui en payait le prix.
Il assenna plusieurs coups de poing dans le mur, jusqu'à ce que la douleur dans sa main se fasse sentir et le ramène à la réalité. Cette douleur le soulageait, c'était comme si en se faisant mal, il prenait pour lui un peu des souffrances d'Alice. Une larme unique coula de ses yeux, une larme de rage ou de tristesse. Qui aurait pu le dire ? Même pas lui...
Marquand se décida enfin à aller voir Alice ; une infirmière lui indiqua la chambre. Il eut du mal à trouver le courage de pousser la porte.
Quand il la vit, confortablement installée dans son lit, pâle mais les traits détendus, il se sentit tellement soulagé qu'il en eut le vertige. Il se reprit bien vite et s'approcha du lit. Alice dormait, l'infirmière lui avait expliqué que c'était normal car elle avait une perfusion de morphine pour la soulager.
-Madame le Juge, dit Marquand en prenant sa main, je vous aime infiniement et je m'en fous si l'un de nous doit y laisser des plumes, à partir de maintenant je ne vous quitte plus. Même contre votre gré ! Je serai votre ombre ou votre lumière, à vous de choisir, mais je serai là.
Il regarda Alice et cru voir une sorte de sourire flotter sur ses lèvres. Il l'embrassa furtivement et partit.
Il avait encore tant à faire : prendre des nouvelles de Lucie, organiser la garde de Petit Paul, prévenir Jacques...
***
Lucie et Simon avaient pu quitter l'hopital, Lucie se reposait chez son père avec l'homme qu'elle aimait.
Marquand décida d'aller chez Alice prendre la relève de la baby-sitter auprès de Paul. Par chance, quand il arriva, le petit garçon dormait déjà. Il ne se sentait pas la force d'affronter son regard et ses questions.
Le plus difficile fut de prévenir Jacques. Le père d'Alice, déjà éprouvé par tous les événements récents, eut du mal à accepter cette nouvelle épreuve. Et encore, Marquand s'était bien gardé de rentrer dans les détails de l'état de santé d'Alice. Jacques décida de venir de Dijon dès le lendemain.
Arriva le moment où cette interminable journée était enfin en train de s'achever.
Décontenancé, un peu perdu, Marquand ne savait pas trop quoi faire. Il essaya de rentrer dans la chambre d'Alice, mais sans elle cela n'avait pas de sens.
Il trouva une bouteille de whisky, un verre, et finit par se réfugier dans le canapé.
Le verre était vide, alors il le remplit.
But une gorgée.
Sentit la chaleur de l'alcool dans sa gorge puis dans ses veines.
Sensation de vie.
Une autre gorgée.
Puis le verre vide.
Puis la peur de ce vide.
Alors le verre à nouveau rempli.
Plusieurs fois.
Jusqu'à ce qu'il s'endorme d'un sommeil de brute, la bouteille dans ses bras.
Vide.
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La Peur du Vide
FanfictionFan-fiction faisant suite à la série Française "Alice Nevers, le Juge est une femme" (Suite de la saison 12 diffusée au printemps 2014). Alice Nevers est Juge d'Instruction à Paris. Elle mène une vie bien remplie, avec son fils Paul, de 5 ans, issu...