Le sommeil, pour eux tous, était un moment d'oubli, un temps où ils parvenaient à lâcher prise et même à laisser leurs émotions profondes parler pour eux.
Léa dormait dans les bras de Noah, un sourire flottant sur ses lèvres. Elle était heureuse, elle était passionnée, captivée par son rôle inattendu dans cette enquête qu'elle menait en tandem avec celui qu'elle s'obstinait à ne pas nommer « son amoureux ».
Joue contre joue, bercées par la Vodka qui coulait un peu trop dans leurs veines, leurs boucles emmêlées, Juliette et Julia dormaient comme dormiraient des naufragés sur un radeau : serrées, un peu seules au monde, un peu perdues, dans leur lit qui leur semblait tanguer comme une embarcation sur des vagues capricieuses.
Manuel s'était endormi, fatigué d'avoir regardé « ces Moitiés-d'Eux » se trouver et commencer à se transformer en petites vies. Comme ses « affaires » le nécessitaient, Manuel resterait plusieurs jours dans son labo, en étroite surveillance. Son billet d'avion pour Barcelone était prêt, il ne tarderait pas à pouvoir partir.
Dans son sommeil, Alice s'était rapprochée de Marquand, parce que lorsqu'elle dormait, elle abandonnait ses défenses et elle se laissait aller à ce qu'elle s'interdisait lorsqu'elle était éveillée. Et tout naturellement, son instinct de survie, et la certitude de ses sentiments, l'avaient poussée contre cet homme unique, cet homme qui avait une place indescriptible dans sa vie. Une place à la fois évidente et pourtant sans cesses menacée.
Seul Jacques ne dormait pas, ou alors très mal, ses rêves se mêlant à la réalité : une sorte de cauchemar où ses gênes, ceux de Marquand et ceux ce sa fille, étaient impliqués en un mélange très incohérent.
Il trouvait que tout ça n'avait pas de sens. Ou alors ça avait trop de sens justement, mais cette idée même le plongeait dans un malaise si profond qu'il essayait de l'enfouir très loin dans sa mémoire.
Seulement, il en est de la mémoire comme il peut en être de toutes ces choses que l'on essaie de fuir: elles n'en reviennent que plus vite, et plus fort. Et sa mémoire, ses souvenirs enfouis pendant toutes ces décennies, ces images qu'il pensait avoir oubliées, s'imposaient à présent à lui à tout moment du jour et de la nuit.
Jacques avait l'impression que cela empirait de jour en jour. Il essayait d'incriminer son âge, et toutes les inquiétudes auxquelles il avait du faire face tous ces derniers temps à propos de sa fille. Mais il savait qu'il y avait une cause probable à cette recrudescence de souvenirs qu'il croyait enfouis à jamais. Il pensait sans répit à toutes ces infimes parties d'elle, exposées au regard de tous, vulnérables. Il avait beau lutter contre cette idée qu'il savait erronée, saugrenue, il avait peur que tous ne voient que ça.
Il avait peur que les gens constatent, implacables, qu'il n'y avait aucun lien entre les gênes d'Alice, et ses propres gênes à lui, Jacques, l'homme qui avait toujours été là pour elle depuis la seconde où elle était venue au monde.
Jacques avait beau essayer de se raisonner, de faire appel à la science et à son discernement pour se prouver de manière irréfutable, que c'était impossible, il demeurait englué dans cette peur panique :
Quelqu'un allait tout découvrir, allait remarquer qu'il n'était pas le père génétique d'Alice, qu'il ne l'avait jamais été même si c'est lui qui était présent à ses côtés depuis plus de quarante ans.
Quelqu'un allait le voir, et son monde allait basculer en même temps qu'Alice l'évincerait de sa vie pour lui faire payer toutes ces décennies de mensonges. Elle qui ne supportait depuis toujours que la vérité.
Elle entrainerait Paul avec elle, et aussi Marquand et toutes ces Moitiés-d'Eux, qui jamais n'auraient le moindre lien avec lui, Jacques, le père imposteur.
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La Peur du Vide
FanfictionFan-fiction faisant suite à la série Française "Alice Nevers, le Juge est une femme" (Suite de la saison 12 diffusée au printemps 2014). Alice Nevers est Juge d'Instruction à Paris. Elle mène une vie bien remplie, avec son fils Paul, de 5 ans, issu...