Chapitre 35 - les liens du sang

530 16 0
                                    



Finalement, Juliette n'était pas allée sur le canapé. Elle avait regardé son père dormir, observant ses traits se détendre au fur-et-à-mesure qu'il plongeait dans un sommeil profond. Elle avait remonté la couverture sur ses épaules puis s'était absorbée dans la contemplation de cet homme indomptable qui à présent parvenait enfin à trouver un peu de repos.

Elle se sentait un peu responsable de tout ça, un peu responsable de lui aussi.

Finalement, elle s'était endormie tout habillée auprès de lui.

Lui et elle avaient puisé dans le repos de l'autre, un peu de paix pour bercer son propre sommeil.

***

Alice se réveilla après une nuit de sommeil plus apaisée. Tout contre elle dormait Paul, sa petite main autour de son cou ; ce moment était agréable, doux, tendre.

Elle ouvrit les yeux; il semblait déjà faire jour depuis un moment et quelques rayons de soleil venaient baigner d'une lumière chaude, les murs de la chambre d'Edouard Lemonnier.

Ils avaient été accueillis comme des rois la veille au soir par Lemonnier et Théo. Un vrai plaisir de se sentir attendu et de voir la joie dans les yeux de tout le monde. Le greffier les avait conduits jusqu'à chez lui, dans un joli petit appartement qu'il avait acheté près de la place Castellane.

Paul tombait de sommeil, Alice l'avait porté pour monter à l'appartement, où Lemonnier avait déjà tout préparé pour les recevoir : laissant sa chambre à Alice et Paul, il irait dormir dans celle de Théo sur un lit d'appoint.

Alice et Lemonnier avaient parlé jusque tard dans la nuit, de tout, de rien, juste pour renouer les fils de leur relation qui avaient été distendus par l'éloignement. Autour d'un thé bien chaud, sous une lumière douce, les choses paraissaient moins insurmontables.

Alice se leva, l'appartement était calme. Théo lisait un livre pendant qu'Edouard Lemonnier feuilletait le journal du jour en buvant un café.

- Bonjour madame le Juge !

- Oh Lemonnier, vous pouvez m'appeler Alice à présent ! Vous n'êtes plus mon greffier, vous êtes le parrain de Paul, vous faites un peu partie de la famille !

- D'accord... Alice. A condition que vous m'appeliez Edouard !

Ils se sourirent avec complicité.

Peu importait ce qui les avait réunis, ils étaient heureux de se retrouver.

- Qu'avez-vous envie de faire aujourd'hui ? Il y a le marché le long de l'avenue du Prado... On peut aller se promener près du Vieux Port et voir la vente des poissons pêchés la nuit... Prendre le bateau pour visiter le château d'If... Marcher dans les calanques et laisser les garçons jouer au bord de l'eau...

- Que de belles propositions ; ça me donne envie de toutes les essayer !

- Eh bien Madame... euh Alice. On pourra en faire un peu chaque jour !

Juste une parenthèse.

Comme c'était bon...

***

Marquand se réveilla et observa avec tendresse sa fille qui dormait tout près de lui. Il avait bien dormi et se sentait légèrement apaisé, même si son esprit était entièrement tourné vers cette recherche compliquée de ce Matthias, qui allait débuter le jour-même.

Il se leva et se dirigea vers la salle-de-bains.

Sentir l'eau chaude sur son corps, ça lui donna le sentiment de se retrouver un peu, de rassembler les morceaux de lui-même qui s'étaient morcelés ces derniers jours.

Un peu comme on reconstitue un puzzle.

Quand il sortit de la salle-de-bains, Juliette était levée et elle l'accompagna jusqu'à la cuisine dans l'espoir de lui faire manger quelque chose avec son café.

Sa colocataire Julia était déjà levée.

Elle lui présenta son père.

Comme elle l'avait pressenti, le regard qu'elle posa sur Marquand était brillant. Il faut dire que cet homme ne manquait pas de charme ; Juliette était consciente que son père plaisait aux femmes. Surtout quand il arborait cet air à la fois fragile et décidé. Il en avait fait craquer plus d'une, elle le savait, et si elle n'avait pas été sa fille, elle aurait été comme beaucoup d'autres : elle l'aurait trouvé très à son goût.

Marquand sentit la douceur du regard bleu de la jeune-fille sur lui ; il était si loin de ses repères, si fâché avec sa vie.

Il trouva que c'était bon, d'être regardé comme ça.

Il sourit à Julia.

Elle lui sourit en retour.

Ca n'était pas vraiment conscient.

Tout comme son instinct l'avait poussé à fuir, à présent il le poussait à apprécier la sensation de plaire.

Juliette frémit. Elle redoutait cela.

Elle se dépêcha de se préparer, afin de soustraire son père à cette situation qui la dérangeait. Il était prévu qu'ils se retrouvent avec sa bande de copains étudiants, dans un café en milieu de matinée pour échanger d'éventuelles nouvelles informations à propos de Matthias.

Dès qu'elle fut prête, elle entraîna Marquand dans l'endroit convenu. Ses copains étaient tous là, souriants malgré leur mine préoccupée. Ils firent un bon accueil à Juliette et à son père. Ils commencèrent à parler avec animation pendant que la jeune-fille assurait la traduction. Ils n'avaient pas eu de nouvelles de Matthias, mais un des jeunes étudiants, Thomas, avait réussi à savoir qu'il était rentré en contact avec un certain Dragan, la veille de sa disparition.

- Dragan ?

Une des jeunes-filles, Sarah, avait réagi.

- Tu connais ce Dragan ? s'exclama un des garçons, Lukas.

- Je suppose qu'il n'y en a pas mille dans le coin... C'est une espèce de petite frappe. On ne le voit pas trop près des facs ou de notre école... Il n'a pas très bonne réputation à ce que je sais. Qu'est-ce-que Matthias faisait avec ce gars ?

- Tu connais Matthias, continua Thomas. Il ferait n'importe quoi pour obtenir de nouveaux documents, des infos exclusives sur le passé.

- C'est vrai, hélas, confirma Juliette. Je l'avais mis en garde mais il n'a pas voulu m'écouter . Il y a des sujets tellement sensibles pour lui, qu'il perd son discernement quand on les aborde. Ca doit être un défaut masculin, hein papa ?

Les autres s'esclaffèrent pendant que Juliette traduisait pour son père en insistant bien sur les deux dernières phrases. Elle n'en avait pas fini avec lui, il ne lui avait raconté qu'une partie de l'histoire et elle entendait bien lui faire comprendre qu'il ne s'en sortirait pas à si bon compte. A un moment donné, il faudrait bien qu'il lui raconte ce qui s'était passé avec Alice.

- Bon, il faut entrer en contact avec ce Dragan, décida Lukas. Qui peut faire ça ?

- Moi, se proposa Juliette. Je peux être un bon appât si Dragan sait que Matthias et moi on est ensemble, et qu'on fait les mêmes recherches. Mon père viendra avec moi. Il est flic en France comme je vous l'ai dit. Il a son arme de service avec lui.

- OK, décida Sarah. Je le connais de vue et je sais où il traîne parfois ; je lui dis que tu veux le voir.

***

Père et fille main dans la main pour retrouver un jeune-homme disparu.

Mère et fils, accompagnés d'un ami cher et de son fils de cœur, flânant le long du Vieux Port, regardant la vie s'agiter autour d'eux, avec des yeux émerveillés, profitant de chaque seconde de cette escapade au soleil.

Ils étaient parents de manière si différente.

Ils étaient si loin l'un de l'autre.

Pourtant, même à des milliers de kilomètres, un même puissant élan les réunissait : celui qui les poussait à survivre pour assurer la protection de leur enfant.


La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant