Chapitre 105 : Refuges

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Léa se concentra autant qu'elle le put.

Restituer au mieux les visages qu'elle avait vus à plusieurs reprises, c'était sa manière de rendre hommage à la volonté farouche de Noah, de protéger Marquand et Alice du trafic d'embryons.

Si le couple était retrouvé, cela signerait l'échec des sinistres médecins. Le processus s'arrêterait. Personne d'autre que leurs parents légitimes, ne mettrait au monde des Moitiés-d'Eux.

Ce serait une belle façon de poursuivre le combat pour lequel Noah avait perdu la vie. Et puis ça aiderait certainement le Commandant, silhouette instable et irritable, qui ne cessait de déambuler et occupait presque tous les angles de son champ de vision en même temps, comme s'il avait le don d'être partout à la fois.

Elle se leva pour prendre un peu de recul sur l'écran que lui désignait l'officier. Il commençait à être tard et elle était plus qu'épuisée. Mais elle était satisfaite du résultat ; après avoir passé beaucoup de temps à se remémorer les traits de l'époux, voici que le portrait de sa femme apparaissait sous ses yeux.

- Commandant, regardez ! Ce sont eux !

Marquand arriva, et regarda les deux visages qui apparaissaient, enfin finalisés, sur les écrans disposés côte-à-côte.

Alors, ils ressemblaient à ça, ces gens qui avaient volé ses enfants.

Du regard, il les toisa, comme s'il avait le pouvoir de les anéantir juste avec tout ce qu'il ressentait comme haine envers eux.

Et puis une autre pensée s'imposa à lui, qui le surprit lui-même.

Ils avaient un point commun, eux et lui : ils avaient peur du Vide.

***

Quand la nuit tomba, les portraits robots commencèrent à être diffusés. Dans les aéroports de Barcelone, les policiers les montraient aux hôtesses, aux agents des Douanes.

Le Lieutenant Velonzio les accompagnait ; plus discrètement, elle en profitait pour poser des questions informelles à propos des deux Espagnols qui étaient susceptibles d'avoir également quitté le territoire.

Dolorès Velonzio était plutôt opiniâtre. Et cette histoire inédite lui donnait très envie de mettre tous ses talents de déduction à contribution pour stopper cette machination.

Léa insista auprès de Marquand pour qu'ils rentrent se reposer.

- Je n'en peux plus. Et puis, vous non plus on dirait ! Venez, on ne peut rien faire de plus pour le moment je crois.

Marquand avait du mal à lâcher prise. Laisser courir ce couple, c'était une sorte de déchirement, presque comme un abandon.

C'était, dans les faits, un sentiment qui était assez proche de la réalité.

Après tout, ces Moitiés-d'Eux disparues, c'étaient ses enfants.

Incomplets, à peine esquissés, vulnérables, même pas encore accrochés.

Mais c'était bien plus qu'une agglomération de quelques cellules.

C'était un peu de lui.

***

Alice essaya de s'endormir, tout en serrant contre elle son petit Paul, qui avait profité de l'absence de Marquand pour se faufiler dans le grand lit que sa mère partageait avec celui qu'il appelait «parrain», ou « Fred » selon son envie.

Son petit bonhomme, avec le nez niché au creux de son cou, c'était douillet, c'était tendre, c'était rassurant. En aucune manière, bien évidemment, il ne pouvait prendre la place qui n'était pas la sienne ; sa maman avait son Amoureux.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant