Chapitre 36 - des monuments et des Hommes

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Sarah avait fait savoir aux oreilles concernées, qu'elle cherchait à voir Dragan. En début d'après-midi, un de ses proches lui demanda pourquoi elle en avait après lui.

- Il paraît qu'il a des infos qui pourraient intéresser une amie à moi ; une amie de Matthias aussi.

Le jeune-homme garda un visage impassible mais un éclair passa dans son regard à l'évocation du prénom de Matthias. Sarah ne douta pas un instant que l'information passerait et irait jusqu'à Dragan.

Il ne restait plus qu'à attendre la suite, puisque le premier contact était établi.

Juliette et ses camarades étaient allés en cours l'après-midi.

Marquand était seul pour quelques heures, il en profita pour se promener dans cette capitale inconnue. A pieds, toujours à pieds, droit devant, comme à chaque fois qu'il avait besoin que son esprit fasse une pause. Ses pensées étaient accaparées par les recherches concernant Matthias, il espérait parvenir à aider sa fille et ses amis à retrouver le jeune-homme. Il pressentait qu'il y avait beaucoup de données troubles dans cette histoire, et il s'inquiétait de la suite.

Il en profita pour passer devant la célèbre porte de Brandebourg. Ce monument, symbole de toute l'époque où l'Allemagne était divisée en deux entités quasi-ennemies, l'émut, et il éprouva le besoin de s'asseoir sur un petit mur pour s'imprégner de l'atmosphère entourant ce monument.

Symbole de division, symbole de réunification.

Il saisit son portable, il voulait prendre un cliché de l'édifice.

Après tout, c'était la première fois qu'il mettait les pieds en Allemagne, et probablement qu'il n'y reviendrait pas de sitôt.

Sur l'écran de son téléphone, il vit un message de Noah lui souhaitant bonne chance ; un message de Lucie qui l'embrassait.

Et tant d'appels d'Alice auxquels il n'avait pas répondu.

Il rangea son téléphone sans avoir pris de photo.

Mille kilomètres entre eux, bien plus encore.

Juché sur son muret, les pieds dans le vide, il regarda droit devant lui.

Division, réunification, des étapes qui avaient marqué l'histoire de ce pays.

Des mots qui rythmaient sa propre vie.

***

Léchant ses petits doigts et riant aux éclats des pitreries de Théo, le petit Paul dégustait avec avidité un plat de moules-frites dans le restaurant du Vieux Port qu'Alice et Lemonnier avaient choisi pour leur repas de midi.

L'air était doux, le soleil déjà chaud, et le Mistral épargnait cette journée magnifique. Ils pouvaient manger en terrasse, ce qui aurait été inimaginable au même moment à Paris.

Alice regardait l'Eglise de Notre-Dame-De-La-Garde, qui dominait la colline face à elle. Le soleil chauffait doucement sa peau et lui donnait le sentiment de revenir lentement à la vie. La statue de la Bonne Mère, avec ses bras protecteurs, semblait l'inciter à se reposer sur elle de tous ses tracas.

Alice lui adressa une sorte de prière païenne, l'implorant de les protéger, elle et son fils. La suppliant mentalement de la guider et de l'aider à accomplir son destin, quelqu'il soit.

Lui demandant de lui offrir une fois encore, de plonger son regard vert dans l'océan d'un certain regard bleu.

D'étreindre encore une fois ce corps aimé qui savait si bien épouser chaque parcelle du sien.

De caresser encore une fois ces yeux cernés et un peu fatigués, qu'Il avait le soir quand la journée avait été dure, dans un geste à la fois tendre et protecteur.

De respirer cette douce odeur qui n'était qu'à lui, quand elle nichait son nez juste dans le creux de son épaule, entre son cou et le col de sa chemise.

Juste une fois encore, entendre le son rauque de sa voix quand il murmurait son prénom, le regard embué, le souffle court, au moment où tous les deux s'apprêtaient à partager le plaisir qu'ils savaient si bien se donner l'un à l'autre.

Juste une fois, sentir son regard l'envelopper et la protéger, lui permettant de se sentir en sécurité comme elle ne l'avait jamais été.

Juste un instant, pour lui dire que quoiqu'il advienne, nul autre ne compterait jamais autant que Lui.

- Alice ? Alice ?!?

La voix de Lemonnier la ramena sur terre.

Il sourit en la regardant.

- Je crois que je vous ai perdue un instant ! Ah cette Bonne Mère ! Elle rend tout le monde méditatif !

- Oui Edouard, vous avez raison ! On dirait qu'on ressent comme une présence bienveillante quand on est face à elle !

- Je crois qu'il y a beaucoup de monde qui pense ça ici. Bon, on trinque ?

Ils levèrent leur verre et trinquèrent entre eux ainsi qu'avec les deux petits garçons. Paul avait les yeux qui pétillaient de joie et Théo arborait un grand sourire.

- Après manger, on ira dans cette forteresse que vous voyez là-bas. Elle vient juste d'être réhabilitée et transformée en musée des civilisations méditerranéennes. Les garçons vont adorer !

Lemonnier semblait très fier de présenter cette ville qui visiblement était devenue comme la sienne. Il paraissait détendu, passionné, et heureux aussi.

Cette nouvelle vie semblait lui convenir à merveille. La complicité avec Théo faisait plaisir à voir.

Alice se laissa emporter par la douceur de vivre émanant de ces instants.

Elle se pencha vers Paul et déposa un baiser sur le front de son fils aimé.

En cet instant, elle se sentait bien.

***

Marquand était resté longtemps plongé dans des pensées indéfinies, il avait le sentiment d'être présent, assis sur ce mur. Et pourtant en même temps, il se sentait comme écrasé par ce monument symbolique, comme l'humain qu'il était face aux vestiges de l'Histoire.

Un peu comme s'il était en même temps un autre, détaché de sa propre existence, et emporté par le tourbillon de tout ce qui s'était passé ici.

Division.

Réunification.

Ces mots traversaient son esprit mais sans s'y attarder réellement.

Pour l'instant, ils ne faisaient pas encore écho avec ce qu'il vivait.

Il repartit à l'appartement des jeunes étudiants ; la nuit tombait, ainsi que quelques flocons de neige. Il remonta le col de sa veste. Il n'était pas assez habillé pour affronter le froid qui régnait dans cette partie de l'Allemagne.

Il frissonna, entra dans un bar et commanda un whisky. Pas besoin de parler Allemand pour ça, il y a des langages qui sont universels.

Il le but par petites gorgées.

Il n'avait pas comme les jours d'avant, besoin d'oublier tout rapidement en buvant beaucoup et vite. Le magma de sa colère s'apaisait un peu, et il était concentré vers d'autres objectifs. Certes très lointains de ce qu'il avait laissé derrière lui en fuyant avec Juliette.

Mais au moins, il n'était plus totalement guidé par sa colère.

Arrivé à l'appartement, il fut accueilli par la joyeuse petite troupe de jeunes-garçons et de jeunes-filles, tout le monde parlait dans un mélange approximatif d'Allemand, d'Anglais, de Français et même d'Espagnol.

- Papa, lui dit Juliette quand elle vit son père arriver. J'ai rendez-vous avec Dragan ce soir.

Alors ils prirent tous un air grave, qui dénotait tellement avec l'insouciance qu'on aurait pu leur attribuer au vu de leur jeune âge...

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant