Chapitre 111 : la Peur du Vide - Partie 5

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Tout doucement, le temps passa.

Chaque matin, Alice traçait une croix dans son agenda. Encore un jour de moins avant le verdict. Elle se sentait un peu comme Robinson Crusoé, sauf que sa prison n'était pas une île. C'était le temps qui s'égrenait trop lentement.

Par chance, son travail, qu'elle avait pu reprendre quelques jours après les obsèques de Noah, lui permettait de ne pas passer trop de temps à se questionner. Bien sûr, ça ne l'empêchait pas, à chaque journée qui débutait, d'interroger les signes que lui renvoyait son corps. Son ventre, qui n'était plus maltraité par l'hyperstimulation, était moins douloureux et commençait à reprendre son aspect habituel; elle se sentait plus légère, plus leste.

Elle essayait de se remémorer les symptômes qu'elle avait expérimentés au tout début de sa grossesse pour Paul. Mais nulle veine bleutée ne venait sillonner la peau de sa poitrine. Alors elle s'habillait, espérant que le jour d'après lui apporterait des réponses plus claires.

Marquand était plutôt taciturne. L'attente, la patience, c'étaient des épreuves qui le mettaient toujours à mal, et cette situation sur laquelle il n'avait aucune emprise, ne faisait pas exception. Ca n'était pas facile pour Alice de parler avec lui. Elle voyait bien qu'il observait chacun de ses faits et gestes, sans doute à la recherche d'un signe ou d'un indice qui le mettrait sur un début de piste. Il n'osait visiblement pas lui poser de question directement. Et elle ne trouvait jamais le moment adéquat pour s'installer en face de lui et lui demander tout ce qu'il avait à lui demander.

En filigrane, il y avait aussi cette question lancinante qu'ils évitaient soigneusement d'aborder, sans s'être concertés : qu'advenait-il du couple finlandais qui avait reçu deux de leurs embryons?

Jacques n'arrivait pas à partir, parce qu'il sentait très clairement qu'il aurait un rôle crucial à jouer si le désaccord venait à s'installer entre sa fille et le flic. Il ne savait pas encore lequel, mais son instinct lui dictait de ne pas quitter Paris pour le moment.

***

Ce samedi soir-là, quelques jours avant la prise de sang que tous attendaient comme on attend un verdict, Marquand avait voulu réunir ses proches autour de lui.

Ca n'était pourtant pas son habitude, pas plus que celle d'Alice, d'ailleurs. Tous deux issus de familles isolées, avec une mère décédée bien trop tôt pour l'une, avec un père inexistant pour le second, enfants uniques, ils ne connaissaient pas la saveur de ces longs repas copieux et bavards, qui pouvaient durer jusqu'au petit jour.

Mais, les voir une fois tous réunis avant le verdict, c'était comme profiter d'un moment de calme avant une possible tempête. C'était fêter la joie d'être ensemble avant de risquer n'avoir plus rien à fêter. C'était un peu prendre de l'avance sur le mauvais sort, lui faire un pied-de-nez pour lui signifier que quoi qu'il advienne, il ne serait pas le seul à avoir son mot à dire.

Marquand avait donc invité ses filles, Juliette, qui n'était pas encore repartie pour Berlin, et Lucie, accompagnée de son bébé et de Simon. Mêlées à Paul, elles étaient la preuve vivante de ses capacités, et de celles d'Alice, à concevoir une descendance nombreuse et joyeuse.

« Tu fais comme tu veux, saleté de mauvais sort, mais ce n'est pas ce soir que tu auras le dessus», murmura le père, fier, admirant ses deux filles et sa petite-fille.

Jacques était présent, naturellement, de même que Victor Lemonnier, convié par Alice. Léa aussi avait été invitée, sur la proposition de Marquand. La jeune-femme avait accepté avec une sorte de soulagement, d'être conviée dans ce petit cercle restreint. Etre parmi eux, c'était une façon de faire encore partie des proches de Noah.

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