Chapitre 94 : Instants précieux

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Dans la nuit qui tombait sur ce long jeudi, tous ou presque, trouvèrent un moment de répit.

Alice et Marquand, repus de caresses, les yeux brillants du plaisir donné et reçu, attendaient sans impatience, serrés sur le canapé en face de tous leurs proches, le moment d'aller retrouver leur chambre et partager encore des moments de cette intimité dont ils avaient tant besoin. Se rapprocher, se donner l'un à l'autre, c'était aussi pour eux, donner du sens à la démarche qu'ils allaient accomplir le lendemain matin : le transfert de leurs embryons, bien au chaud, à la place qui était la leur.

Juliette, rassurée, fière d'avoir pu assumer jusqu'au bout son rôle d'ange-gardien auprès de son père, de Julia et même d'Alice, savourait enfin le soulagement de les voir tous les deux assis, serrés en face d'elle.

Elle avait annoncé son retour imminent sur Berlin, avec Matthias. Bien sûr Julia les accompagnerait, mais elle avait gardé cette information pour elle.

Jacques faisait de son mieux pour se convaincre que, les choses paraissant rentrer dans l'ordre, il pourrait enfin parler de ce secret qui lui empoisonnait l'existence. Il le devait à sa fille, il le devait à Paul, il le devait à toutes ces Moitiés-d'Eux, là-bas au labo. Alice s'emporterait, elle pleurerait, elle le détesterait, elle l'affronterait avec des paroles de colère, mais il y avait une petite chance pour que ces difficultés demeurent passagères. En tous cas, il voulait y croire. Parfois, il était tenté par la facilité, par l'idée de garder son lourd secret pour lui et pour toujours. Mais Jacques était un homme droit avant tout, et même si cela pouvait tout remettre en cause, il sentait qu'il devait prendre ce risque. Il lui était indispensable de dire la vérité, si intolérable soit-elle. Jacques ne savait pas d'où lui venait cette quasi-certitude, cette nécessité impérieuse.

Il savait, c'était tout.

***

Manuel, le laborantin, avait un air très sérieux et concentré sur son visage. La manipulation allait être délicate, et elle était cruciale aussi. Il allait devoir prélever deux embryons pour les transférer dans un tube, qu'il pourrait ensuite congeler pour les transporter dans les meilleures conditions possibles, jusqu'à Barcelone.

Il saisit une pipette et mit en oeuvre toute sa dextérité pour attraper ces Moitiés-d'Eux, vulnérables, incapables évidemment de se défendre. Ces minuscules amas de cellules, il les déposa délicatement dans le tube qui attendait de les réceptionner. Puis il glissa le tube dans le container d'azote liquide, qui les congèlerait instantanément, et les protègerait ainsi pendant leur transport jusqu'à Barcelone le lendemain.

L'opération délicate s'étant déroulée sans encombre, Manuel se détendit un peu et poussa un soupir qui exprimait à la fois le soulagement et la satisfaction. Tout s'était déroulé comme prévu depuis le début.

Sauf, bien sûr, cet homme trop curieux qui s'était promené bien trop souvent dans son service, et qui rôdait actuellement près de la clinique de son collègue et complice, le docteur Victorino.

C'était vraiment un problème.

***

Léa et Noah avaient fini par s'ennuyer. Après avoir attendu en vain que ressorte le couple aux yeux clairs qu'ils avaient suivi, ils avaient fini par être d'accord sur un constat :

- « Des touristes qui ne quittent pas leur hôtel, on est d'accord, hein, ce ne sont pas des touristes »

- « Ou alors, ils sont très amoureux ? »

- « Je ne doute pas qu'ils soient amoureux, mais pour le moment, ils ont plutôt l'air fatigué et inquiet »

Ils en avaient conclu qu'ils pouvaient cesser leur surveillance pour ce soir, et ils étaient partis se promener dans les rues animées de la ville, avant de rentrer à leur hôtel.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant