Chapitre 13 - Harcèlement

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Chapitre 13 – Harcèlement

Marquand avait, le plus poliment qu'il lui avait été possible, congédié Lesieur en le renvoyant auprès de Victor.

Il lui fallait faire parler cet homme qu'il jugeait insaisissable, trouble, et la présence du jeune Juge peu aguerri lui aurait probablement porté préjudice. Il songea à tous les interrogatoires qu'il avait menés avec Alice, ces formidables moments où leur connivence et leur complémentarité prenaient tout leur sens ; il faisait le méchant et elle la gentille. Elle se fâchait et il faisait semblant de consoler. Ils n'avaient pas besoin de se parler, de préparer le déroulement des entretiens : tout coulait de source dans leur fonctionnement.

Il entra dans la salle d'interrogatoire avec Noah qu'il avait choisi pour le seconder.

- Monsieur Dauphin ! Je suis navré de vous avoir fait attendre si longtemps ! dit Marquand avec emphase, jouant l'obséquiosité.

- Je sais ce que c'est d'avoir des responsabilités, je ne peux que comprendre. Mais pourquoi m'avoir fait venir ici ?

- Alors... Ce prélèvement d'ADN, vous avez eu le temps d'y penser ?

- Oui, je ne vois toujours pas en quoi cela me concerne !

Marquand balança les photos du corps de Stéphane Carmel sur la table.

- C'est moche hein... Vous qui semblez accorder tant d'importance à votre personnel, ça vous parle ?

Dauphin regarda les photos sans que son visage ne manifeste d'émotion apparente.

- C'est triste en effet, mais que pourrais-je vous dire de plus ?

- Nous parler de votre alibi pour la nuit du meurtre, et accepter le prélèvement d'ADN pour que vous puissiez retourner aux hautes fonctions qui vous attendent !

- La nuit du meurtre... Je suis parti tard du Casino, puis je suis rentré chez moi. Je vis seul, je suis divorcé... Ma carrière m'a coûté mon mariage.

- Oh, c'est pareil que pour moi ! répondit Marquand, presque moqueur.

Charmeur, il s'approcha de l'homme avec sur les lèvres un petit sourire de connivence. Puis brusquement, il lui arracha un cheveu avant de revenir lui faire face.

L'homme cria son mécontentement.

- Ca fait mal, hein ! De se faire quitter !

- Mais vous êtes malade ! Je connais mes droits, Commandant, vous n'avez pas le droit d'agir de la sorte ! J'ai fait mordre la poussière à de bien plus coriaces que vous !

- Continuez, vous me passionnez, là !

Dauphin se mura dans un mutisme dont il semblait ne pas vouloir sortir de sitôt.

Marquand quitta la pièce, appela le Juge Lesieur pour obtenir l'autorisation de prolonger la garde-àvue le temps que l'analyse ADN du cheveu puisse avoir lieu.

Il entendit l'homme crier sa colère et son incompréhension tandis qu'on le transférait dans sa cellule de la Brigade Criminelle. Cet homme était déroutant, il l'aurait volontiers classé dans la colonne «tordu » du tableau de chasse qu'il avait pu constituer tout au long de sa carrière.

Marquand sortit du 36 et voulu appeler Lucie mais il tomba sur son répondeur. Un peu inquiet, il contacta Simon qui lui expliqua que Lucie était partie rendre visite à Alice. Malgré la petite appréhension que cette information lui apporta, il préféra ne pas interférer dans leur relation et décida d'aller chez Alice retrouver son filleul et aussi permettre à Jacques d'aller rendre visite à sa fille.

***

Adossée à son oreiller, Alice essayait de trouver une position pas trop inconfortable pour pouvoir bavarder avec Lucie, qui elle-même n'en finissait pas de se tortiller pour s'installer au mieux avec son ventre arrondi.

Alice s'était sentie un peu mal-à-l'aise à l'arrivée de la jeune-fille. Après tout, elle ne l'avait pas revue depuis l'agression et ne savait pas vraiment comment elle avait vécu le drame ; la femme qui l'avait élevée était morte, et même si Alice avait sa conscience pour elle en ce qui concernait sa propre responsabilité dans ce décès, elle pouvait comprendre une certaine hostilité ou défiance de la part de Lucie.

Mais la jeune-fille avait tout-de-suite donné le ton de leur entrevue en constatant, en les voyant se chercher vainement une position confortable :

- Regarde-nous Alice... On dirait deux baleines échouées !

Et elle s'était mise à rire, imitée par Alice.

- Aïe, ça me fait mal au ventre quand je ris !

- Et moi ça me provoque des contractions !

Elles rirent de plus belle, chacune se tenant le ventre.

- Lucie, tu as besoin que je t'explique ce qui s'est passé ?

- Je veux bien Alice, parce que je souhaite ne plus jamais vivre de mensonges et de non-dits. Mais seulement si ça n'est pas trop difficile pour toi...

Alice secoua la tête.

- Tu as droit à la vérité, Lucie, c'est à moi de te la donner.

Alors elle raconta ce dont elle se souvenait. L'envie de retenir Rachel afin qu'elle puisse dire à Lucie la vérité, cette vérité dont la jeune-fille aurait besoin pour se reconstruire et construire son histoire avec son futur bébé. Puis elle raconta la suite. Les menaces avec le scalpel, les coups dans le ventre, la chute dans l'escalier.

Lucie frémit, les larmes aux yeux.

- Je suis désolée Alice...

- Tu n'y es pour rien !

- Il y a des choses que je savais, que je sentais... J'aurais peut-être pu agir pour éviter tout ça. Tu as été tellement blessée... Et quand je vois l'état de mon père quand on parle de ça... On peut à peine aborder le sujet, tout-de-suite il devient irritable, il s'emporte ou il fuit. Il s'en veut énormément je crois. D'autant plus qu'il n'accepte pas que Rachel t'ait blessée en t'empêchant d'avoir un bébé. Ca, ça le rend complétement dingue même s'il ne veut surtout pas l'admettre.

- Il t'a parlé de ça ?

- Dès qu'il a été rassuré sur le fait que tu allais t'en sortir, oui, on peut dire qu'il a été obsédé par ça. Mais sans jamais l'admettre, tu vois le genre ?

Alice sourit en regardant Lucie. Oui, elle voyait totalement comment Marquand pouvait se comporter quand il constatait que ses sentiments étaient démasqués ; sa pudeur naturelle ne le supportait pas, et il endossait sa carapace de dur-à-cuire pour réfuter toutes les hypothèses avec la plus totale des mauvaises fois.

- Ne t'inquiète pas Lucie... J'ai compris tout ça. Nous avons pu amorcer le dialogue lui et moi.

- J'aimerais tant que mon bébé connaisse son grand-père en paix, et non pas tourmenté comme il l'est en ce moment.

- Et moi j'aime trop ton père pour le laisser dans cet état.

Les deux jeunes-femmes se sourirent ; elles s'étaient comprises et une douce paix s'empara d'elles. Femmes elles étaient, mères elles étaient, et leur instinct de protection allait entourer cet homme qui comptait plus que tout pour elles, cet homme aux apparences si rudes, mais tellement à fleur de peau.

***

Dans sa cellule de garde-à-vue, Dominique Dauphin se sentait envahi d'une rage sourde. Ce Commandant semblait pourtant être de la même trempe que lui : un meneur, un Chef sans pitié, une personne irremplaçable qui considérait son Lieutenant comme lui considérait ses employés : comme des numéros, des petites fourmis, des pions.

Tant qu'ils ne menaçaient pas sa suprématie.


La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant