Chapitre 51 : Evidences

479 14 0
                                    



- Chef, je peux mettre de la musique pendant que vous conduisez ?

- Essaie toujours, mais ça m'étonnerait que je supporte tes goûts musicaux. Tu ne vas quand même pas mettre que du rap ?

- Bonjour la confiance hein ! J'ai une tête à écouter en boucle la même musique ?

- Tu veux vraiment la réponse ?

Noah soupira et connecta son MP3 avec l'autoradio de la berline, puis il laissa sa playlist occuper le silence de la voiture.

Comme à son habitude, ses choix musicaux étaient très éclectiques, et Marquand s'en accommodait. Il était concentré sur sa conduite et il appréciait notamment les morceaux très rythmés ou ceux qui écorchaient un peu les oreilles, comme ces groupes grunge des années 90. Après tout, il n'était pas à une douleur près, et ces agressions auditives étaient en accord avec la plupart des sentiments qu'il avait éprouvés ces dernières heures.

Une musique et des paroles pour accompagner chaque émotion.

Parfois, on a l'impression que notre playlist choisit comme si elle lisait au fond de nous, et nous donne à écouter exactement la musique qu'on attendait.

C'est ce que croyait Marquand, en conduisant au rythme soutenu de morceaux de musique un peu brutale, qui convenait parfaitement à sa manière nerveuse de tracer sa route.

Et parfois, c'est comme si notre playlist avait envie de nous contrarier en proposant précisément le morceau qu'on n'a pas envie d'entendre. Celui qui est chargé de souvenirs auxquels on cherche pourtant à se soustraire.

Marquand et Alice n'avaient pas de «musique à eux ». Leur histoire avait été si chaotique depuis le début...

Il aimait le jazz. Elle aimait le silence ou les auteurs un peu confidentiels. Ils n'avaient pas eu beaucoup l'occasion de sortir ensemble, de se serrer l'un contre l'autre sur une piste de danse, de prendre du temps rien que pour eux, pour se créer leurs propres souvenirs, leurs propres références. En tous cas pas ce type de références, même s'ils en avaient bien d'autres.

Ils n'avaient pas de musique à eux, pourtant certaines paroles pouvaient les frapper, les toucher.

Cabrel chanta :

« Elle rentrera blessée,

Dans les parfums d'un autre.

Tu t'entendras hurler,

Que le Diable l'emporte »

Ca devait faire mal pour un homme de vivre ça, de devoir recueillir celle qui aime et qui sort d'une autre étreinte.

Ca lui parlait, ces mots, à Marquand.

Y avait-il sur sa peau irritée encore un peu du parfum de Julia ? Aurait-il toujours l'impression que même après des dizaines de douches, il aurait encore son odeur sur lui ? La peur qu'Alice s'en aperçoive ?

Il crispa ses mains sur le volant. Cette vérité que le chanteur lui assénait malgré lui, c'était difficile à entendre. Ca lui renvoyait en pleine figure la réalité douloureuse de ce qu'il avait fait.

De sa faute.

En râlant, Marquand zappa pour passer à la chanson suivante.

Stéphane Eicher prit le relais de son collègue à l'accent du Sud-Ouest.

« Déjeuner en paix ».

Marquand connaissait cette chanson, ou en tous cas il croyait la connaître. Rien d'autre que l'histoire d'un couple dont l'homme est plutôt pragmatique, et prend en compte la demande de sa compagne de ne pas être assaillie par les mauvaises nouvelles du Monde dès le matin.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant