Chapitre 31 -Droit Devant

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Une nuit sans sommeil, la main serrant fort le téléphone portable qui ne servait à rien.

Elle n'avait plus envie de l'appeler dans le vide.

Il n'avait plus la force de lutter contre la culpabilité de ne pas décrocher ; il préférait nier la réalité.

Elle était dans son lit, dans leur lit, ce lieu de leur intimité qui lui renvoyait tant de souvenirs intenses.

Il était dans son canapé, chez lui, où il avait atterri au beau milieu de la nuit, utilisant les clés de son appartement pour entrer sans déranger Lucie et Simon, espérant se réveiller avant eux pour fuir leurs questions.

***

Fuir était son unique obsession. Il n'y avait rien de raisonnable, rien de construit dans cette conviction que la seule solution à ses tourments se trouvait là.

Il savait que cela ne servait à rien, que ça n'était qu'une parenthèse avant le moment incontournable où il devrait affronter la réalité. Il ressentait vaguement que tout ce qu'il faisait depuis quelques heures était disproportionné par-rapport aux écueils qu'il rencontrait. Mais rien ne pouvait le raisonner, rien ne pouvait entraver cette marche forcée qu'il s'imposait, il ne savait même pas dans quel but.

Peut-être avait-il trop souffert, trop encaissé toutes ces dernières années.

Peut-être qu'il avait été plus vulnérable ces derniers temps, depuis qu'il s'était installé chez Alice et laissé envoûter par la douceur et la paix qui régnaient dans leurs vies.

Peut-être n'était-il pas fait pour le bonheur.

Peut-être était-il fait pour une vie d'errance, de fuite, d'impulsivité, de querelles, de séductions éphémères ?

Il ne le savait pas, mais il avait besoin de foncer droit devant avec l'espoir un peu vain qu'il sèmerait ses déboires en cours de route, qu'il courrait plus vite que ses tracas.

Il ne le savait pas, mais pour lui, avancer c'était survivre, même si à cet instant précis, il ne savait pas vraiment ce qui le menaçait.

Il ne le savait pas, mais en ces moments, son pire ennemi c'était Lui.

***

Devant le miroir, Alice essayait de se composer une mine qui soit autrement que dévastée.

Elle avait imaginé appeler Lucie, mais avait abandonné cette idée en se disant qu'elle risquait de la déranger pour rien, ou qu'il n'était pas utile de forcer la main à Marquand s'il ne souhaitait pas lui parler de lui-même.

Elle finirait bien par le croiser dans la journée, quitte à se rendre au 36 sous un prétexte futile.

Elle avait un peu commencé à préparer ses mots, les phrases qu'elle lui dirait. Elle s'excuserait, pour l'apaiser et lui montrer que cette fois-ci elle avait saisi le message pour de bon.

Et elle lui dirait.

Elle lui dirait qu'elle était prête à suivre un traitement avec l'espoir de porter son enfant.

Elle lui dirait qu'elle avait eu peur, peur d'affronter tout ça, mais qu'elle savait qu'il serait là, et qu'à chaque étape ils seraient deux.

Paul arriva dans la salle-de-bains, et elle le serra fort dans ses bras.

- Tu as beaucoup pleuré maman. Pourquoi il est pas là, Fred ? Tu es triste parce que vous êtes fâchés ?

- Oui mon chéri, on s'est disputés et je suis triste.

- Tu crois qu'il est fâché avec moi aussi ?

Alice sourit à son fils.

- Non, pas toi mon cœur ; toi, il t'aimera toujours.

Même s'il part loin.

***

Après cette nuit blanche ou presque, Marquand se réveilla en sursaut au petit matin. Tout était calme dans son appartement. Il fila sous la douche ; par chance il avait laissé quelques vêtements de rechange ici. Il pu passer une tenue propre et mettre quelques affaires dans un sac.

Il fila en douce, heureux de n'avoir pas eu d'explications à fournir à sa fille aînée.

Malgré l'heure matinale, il trouva Noah dans leur bureau au 36.

- Salut P'tit con, mal dormi ?

- Pareil que vous Chef !

Ils se dévisagèrent. Leurs cernes en disaient long sur la nuit qu'ils venaient de passer.

- Je vais devoir partir quelques jours, il faut que je parle au Divisionnaire dès qu'il arrive.

- Je suppose que je n'ai pas le droit de vous demander ce qui se passe ?

- Tu supposes bien. Affaire personnelle. Je dois aller en Allemagne pour aider ma fille.

- En Allemagne ?

- Oui, à Berlin. Ne dis rien à Madame le Juge, mais ne la laisse pas tomber si elle en a besoin. Je te revaudrai ça. Par exemple en oubliant l'affaire Léa Rameaux. L'enquête est terminée, vis ta vie mon garçon, tant que tu ne finis pas par te retrouver en cagoule noire en train de forcer sa porte à 4h00 du mat'.

Noah regarda Marquand avec reconnaissance. Il ouvrit son tiroir et sortit un paquet de chips au paprika. Un poids venait de s'enlever de sa poitrine, ça lui faisait prendre conscience que son estomac lui envoyait des signaux de famine.

- Chef, avant de partir... Ca vous dérangerait qu'on échange nos numéros de portable perso ? Votre séjour en Allemagne, là, je le sens pas. Comme ça vous m'appelez si vous avez besoin.

- Et depuis quand tu parles Allemand, p'tit con ?

- « Ich bin ein Berliner », avec ça je peux aller partout non ?

***

Au Divisionnaire, Marquand demanda des congés exceptionnels en lui expliquant qu'il avait besoin de se rendre en Allemagne pour aider sa fille. Il sollicita aussi l'accord de son supérieur hiérarchique pour avoir l'autorisation de travailler en collaboration avec la Police Allemande si la nécessité se présentait.

Le divisionnaire lui accorda ses congés et lui assura qu'il allait envoyer un mail d'information à son homologue d'Europol à Berlin.

- Mais quand même... Vous m'emmerdez Marquand... Il va falloir que je me remette à l'Allemand pour envoyer ce foutu mail !

- C'est déjà une chance de parler Allemand, personnellement à part réclamer une bière ou un baiser, je ne sais rien dire d'autre !

- C'est un peu l'essentiel en même temps ! Bonne chance pour votre voyage... Ca me paraît un peu hasardeux votre histoire. Qu'en dit Madame le Juge ?

- Elle n'en dit rien... car elle n'en sait rien et c'est mieux comme ça.

Le Divisionnaire comprit qu'il avait touché un point sensible et n'insista pas. Marquand n'était pas un de ces hommes à s'épancher sur ses problèmes et il n'allait certainement pas prendre le risque de le voir piquer une de ses fameuses colères en lui posant des questions auxquelles de toute manière il ne répondrait pas.

- Marquand, avant de partir... Pas d'initiatives personnelles, vous ne serez pas dans votre pays... Et essayez de revenir en un seul morceau si possible...

- Faudrait déjà que je sois en un seul morceau au moment de partir, maugréa l'intéressé.

***

Il prit son sac, monta dans sa voiture et fila chez son ex-femme, pour y retrouver Juliette. Il sonna et c'est Flora qui vint lui ouvrir la porte.

- Salut Fred... Tu as l'air en grande forme à ce que je vois. Et je ne sais pas ce que tu as dit à notre fille, mais elle est furax. Saleté de caractère de Marquand !

- Alors il est temps pour nous de parler et de voir comment on peut l'aider. Je ne vais pas la laisser tomber. Je peux monter la voir ?

- Evidemment.

Une âpre discussion s'annonçait...

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant