Chapitre 102 : En plein vol

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- Laisse-moi venir avec toi, Fred. Il s'agit de notre ami, de nos embryons, et puis j'ai besoin de parler à Léa... Et je suppose qu'elle aussi, elle a besoin d'être entourée.

Marquand terminait de préparer son sac de voyage, sous le regard interrogatif de Jacques, qui n'avait pas encore reçu les informations nécessaires, et qui se demandait, inquiet, quel était ce nouveau problème qui semblait être apparu au cours des dernières heures.

- Alice, dans ton état, prendre l'avion, c'est pas prudent !

- Quel état, Fred, tu peux me le dire ? Je ne suis pas enceinte, je ne suis pas malade. Je couve juste des Moitiés-de-Nous et on ne sait même pas si elles vont s'accrocher !

Jacques écoutait, empli d'incompréhension.

- Et il y a en peut-être une autre qui couve des Moitiés-de-Nous, tu imagines à quel point c'est insupportable pour moi ?

Marquand imaginait parfaitement bien. C'était tout aussi insupportable pour lui, de se sentir dépossédé de ces embryons qui étaient les leurs, et qui avaient tout simplement disparu dans le ventre d'une autre.

- Alice, le Docteur Rafaël a dit...

- Je m'en fous de ce qu'il a dit, Fred. Ce que je veux, c'est être avec toi pour savoir si c'est vrai, tout ça. Et je veux voir Noah.

- Noah pourra attendre, Alice. Il a toute l'éternité pour ça.

Jacques tressaillit. Il avait peur d'avoir mal compris, mais en fait, il redoutait surtout d'avoir trop bien saisi de quoi il retournait.

Il croisa le regard éploré de sa fille, ses yeux qui brillaient de larmes de colère, son visage crispé, tourmenté.

- Marquand ! tonna le vieil homme. Vous pouvez m'expliquer ce qui se passe ? Vous avez vu l'état d'Alice ? Elle devait éviter les émotions fortes, je vous rappelle !

Marquand sentit une colère froide l'envahir.

Il ne se sentait pas coupable, alors il ne supportait pas d'être incriminé à tort. Il s'assit sur le fauteuil en face de Jacques, et il lui annonça les faits, sans ménagement.

Noah : assassiné.

Deux de leurs embryons :

Volés par le laborantin, et vendus à Barcelone à un couple originaire du nord de l'Europe. Au creux d'une femme inconnue, et disparue surtout, avec son précieux chargement.

- Mon Dieu, murmura Jacques. Ce n'est pas possible !

Il n'avait aucun lien génétique avec ces Moitiés-d'Eux, évidemment, il le savait ; il ne le savait que trop. C'était sa croix, sa douleur permanente. Mais il n'avait pas pu imaginer qu'il connaîtrait une nouvelle source de souffrance : celle de voir la tristesse de sa fille, et aussi celle de l'homme qu'il considérait comme son gendre.

- Pardon, Marquand, je me suis montré injuste envers vous.

Marquand balaya les excuses d'un geste de la main, qui signifiait que ce n'était pas sa priorité du moment.

Jacques comprit.

Il comprit aussi quel serait son rôle : convaincre sa fille de rester à Paris.

Il s'y employa de toutes ses forces, aidé par Marquand qui ne demandait que ça.

Jacques avait à cœur qu'Alice reste tranquille et soit le plus préservée possible ; il savait qu'il ne serait pas le grand-père biologique de ces Moitiés-d'Eux. Mais il aimait bien trop sa fille, ainsi que cet homme tempétueux qui partageait sa vie et ses espoirs, pour s'arrêter à de simples considérations génétiques.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant