Chapitre 5 - Pères & filles

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Chapitre 5 – Pères & filles

Restée seule, Alice se demanda quelle mouche avait bien pu piquer le Commandant. Elle avait beau réfléchir, elle ne comprenait pas du tout le pourquoi de cette réaction impulsive. Agacée aussi par le sentiment de ralenti dans sa tête, causé par la morphine, elle éteignit l'interrupteur du pousse-seringue qui distribuait le produit dans sa perfusion.

Elle ne savait pas trop si elle ne comprenait rien aux hommes, ou si celui-là était vraiment un modèle unique. En Juge équitable, elle décida qu'il s'agissait certainement d'un mélange des deux.

La porte s'ouvrit à nouveau et Alice ressentit un instant de déception en voyant que ça n'était pas Marquand. Mais le plaisir de voir son père dissippa tout.

Alice : papa !

Jacques (ému) : Ma fille...

Alice : J'ai de la chance, les hommes de ma vie défilent dans ma chambre ce matin !

Elle serra son père dans ses bras. A nouveau elle ressentit le bonheur d'être en vie et la joie d'être parmi les siens.

Jacques : en parlant d'hommes de ta vie, je viens d'en croiser un qui faisait plutôt une drôle de tête ! Qu'est-ce que tu lui as encore dit pour qu'il se mette dans un état pareil ?

Alice : Mais papa je n'en ai aucune idée ! J'étais si heureuse de le retrouver après avoir eu si peur de mourir... On était bien tous les deux, et ensuite le médecin m'a parlé des séquelles de mes blessures. Tu sais, mon utérus et mes ovaires ont été touchés, et apparemment c'est grave. Mais je ne comprends pas bien pourquoi c'est plus important que le fait que je sois en vie !

Jacques regarda sa fille d'un air navré.

Navré à l'idée de ne plus être à nouveau grand-père.

Navré à l'idée que sa fille ne puisse même pas imaginer un instant que sa dévinvolture à ce sujet puisse être blessante.

Jacques : Mais, ma petite fille, tu ne crois pas que ça pose un problème à Marquand ?

Alice (souriant) : Papa ! Marquand a déjà deux filles, dont une qui vient de lui tomber du Ciel, il va être grand-père, et en plus maintenant il peut à nouveau s'occuper de Petit Paul puisque Mathieu a disparu !

Jacques : Tu penses que jouer les papas de remplacement, c'est un rôle pour un homme entier comme lui ?

Alice : Mais papa, il adore Paul !

Jacques : Oui, il aime ton fils. Quand tu étais enceinte, il a veillé sur chacun de tes pas, il était là quand Paul est venu au monde, il l'a pris dans ses bras avant son propre père. Il a été là pour lui et pour toi à chaque fois que tu en as eu besoin. Et il a su s'éclipser à chaque fois que tu le jettais hors de ta vie.

Alice : Mais papa tu veux dire quoi ?

Jacques : Je te laisse y réfléchir, ma petite fille...

Agacée, Alice fronça les sourcils. Ils commençaient à être fatigants, les hommes de sa vie. Elle les trouvait encore plus compliqués que des femmes !

Elle se pencha et regarda son ventre. Avec l'arrêt de la morphine, la douleur commençait à revenir en même temps que son esprit s'éclaircissait.

C'était son corps, et il lui appartenait.

En même temps, elle avait aimé le partager avec cet homme. Elle se souvenait de chacune de leurs étreintes et du sentiment à chaque fois plus troublant, de se donner sans crainte, entièrement, comme jamais. De ce sentiment de ne plus tout-à-fait s'appartenir à elle-même, mais de s'offrir à lui. De même qu'il s'offrait à elle. Sans réserve.

Son ventre n'était pas que le sien. Parfois, oui, elle le partageait avec cet homme et c'étaient des moments forts au-delà de tout.

Alice : Papa ? Tu crois que Marquand pensait... Tu crois qu'il voulait un enfant de moi ?

***

Lucie se redressa sur le canapé en entendant son père arriver :

Marquand : bonjour Lucie !

Lucie : Papa ! Tu en as mis du temps à réaparaître ! Tu as l'air épuisé et... contrarié ? Il est arrivé quelque chose à Alice ?

Marquand : Alice a pu être sauvée ; et toi ma fille, comment vas-tu ?

Lucie : J'essaie de faire face...

Nous voilà bien un point en commun, pensa Marquand.

Lucie (poursuivant) : Je n'ai plus de contractions. J'essaie de comprendre ce qui s'est passé, ce que ma... enfin, cette femme, nous a fait. Je ne m'y retrouve pas. Heureusement que Simon est là, il m'aide à reconstruire ce puzzle. Et toi ? Raconte-moi ce qui s'est passé !

Laconiquement, Marquand parla du décès de Rachel/Marie, puis donna des nouvelles d'Alice, en choisissant ses mots autant qu'il le pouvait pour ne pas faire trop de mal à la jeune femme.

Lucie : c'est merveilleux qu'Alice ait pu s'en sortir, je suis si heureuse pour vous !

Puis, regardant attentivement son père, elle ajouta :

-J'ai l'impression d'être la seule à me réjouir ; il y a un problème ?

Marquand regarda sa fille, regarda son ventre et son enfant à naître. Il avait du mal à concevoir qu'il allait être grand-père.

Marquand : Non, non, il n'y a pas de problème !

Lucie : Papa ? Ce n'est pas la peine de te connaître depuis 15 ans pour voir que ça ne va pas. Ma « mère » est morte dans des circonstances qu'on ne connaîtra jamais, mais je suis sûre que ce n'est pas ça qui te met dans cet état. C'est Alice, hein ? Pourtant tu as dit qu'elle allait bien !

Marquand : Oh oui elle va bien ! Mais je ne t'ai pas tout dit, Lucie. La blessure que Rachel lui a faite au ventre en l'agressant, ça l'empêchera à tout jamais d'avoir un autre enfant.

Lucie serra son père contre elle, apercevant le degré de détresse qu'avait fait naître en lui cette dernière phrase.

Marquand : et on dirait qu'elle s'en fout !

Lucie regarda son père, peinée par ces nouvelles et par la réaction de son père, qui se trouvait vers elle au lieu d'être près de celle qui était si importante à ses yeux.

Lucie : Mais papa ! Quand je vois comment tu réagis, j'ai l'impression que tu l'aurais préférée morte plutôt que stérile ! Je ne te comprends pas !

La petite phrase mordante de Lucie eut son effet : Marquand décampa sur le champ, furieux.

Il détestait tout, tout le monde, et il se détestait surtout lui-même en ces instants.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant