Chapitre 61 - La Peur du vide (3)

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Il posa sa main doucement sur son ventre. Sa large main chaude et rassurante, passant avec délicatesse mais fermeté, sur l'endroit où peut-être aurait du un jour se cacher leur enfant.

Il le caressa avec une extrême lenteur, presque protectrice, presque comme si s'y trouvaient réellement les prémices d'une vie qui compterait plus que toute autre.

Alice prit sa main et lutta contre lui pour qu'il stoppe cette caresse.

- Fred, s'il-te-plaît, non. Ça fait trop mal quand tu fais ça. Tu le fais pour rien, tu le sais. Arrête.

Elle avait mal de tout ce vide qu'elle ressentait. De ce vide qui n'aurait pas du être, peut-être, si chacun d'eux, à un moment donné, s'était comporté à peine différemment. De ce vide qui prenait trop de place.

Et bien entendu il avait mal de la voir souffrir. Par sa faute à lui, par sa faute à elle, par leur orgueil, par son entêtement et son aveuglement face à Rachel, et face au déni de son propre désir de paternité. Peu importait au final car il n'y avait ni coupable, ni circonstances atténuantes. Il n'y avait que deux victimes, serrées sur une banquette, liées par le même souhait, et menacées par le même risque : celui de se perdre à nouveau justement à cause de ce souhait.

Marquand cessa de caresser le ventre d'Alice. Après tout, oui, c'était bien sur du vide que sa main était posée.

Enfin, pas tout-à-fait du vide. Plutôt un creux où il avait aimé retrouver la place qui était la sienne. Un vide qui n'était peut-être pas si inéluctable. Un vide qu'il avait encore l'espoir de voir un jour comblé.

- Alice... Après le rendez-vous, tu as imaginé... Que tu accepterais d'être enceinte ?

C'était si difficile pour elle de se remémorer ce jour-là, et les sensations douces qui s'étaient emparées d'elle quand elle avait laissé son esprit jouer avec les images qui s'y dessinaient.

- Oui Fred. Ce jour-là, j'ai marché dans la rue et je me sentais bien. Je me disais que les gens le verraient, qu'ils seraient attentifs et qu'ils souriraient avec bienveillance. Et je savais qu'au fond de moi, je ressentirais quelque chose de merveilleux : le bonheur d'avoir une partie de toi avec moi à chaque instant. Porter un enfant c'est magnifique, Fred. Porter le tien, ça aurait été au-delà de tout.

- Tu m'as traité d'idiot tout-à-l' heure... Tu n'as pas eu tort. C'est moi qui ai abîmé cet espoir.

- Tu l'as plus qu'abîmé, Fred.

L'espace de cette journée, elle avait été l'Ouest, avec ses vallées accueillantes et chaleureuses, et il avait aimé y jouer et s'y perdre.

A présent elle était redevenue l'Est, avec le vert de ses yeux si froid et insondable que les lacs du bout de l'Allemagne.

Mais il fallait qu'il sache, même si cela devait l'anéantir.

- Est-ce que je l'ai totalement brisé ?

Alice se saisit de la main de Marquand, celle-là même qu'elle avait repoussée quelques instants plus tôt. Elle la posa bien à plat sur son ventre, l'appuya contre elle. Elle mêla ses doigts aux siens, pour former comme un rempart de protection.

Même si cette barrière fragile ne protégeait rien en cet instant, si ce n'est ce vide criant qui leur faisait si mal et si peur à tous les deux, elle avait une fonction encore plus grande, impalpable, indicible.

Elle protégeait leur Espoir.

- Ce n'est pas toi qui l'as brisé, Fred. C'est toute cette folie humaine qui est apparue autour de nous en même temps que Rachel. Elle, ses démons, les tiens, et toutes mes craintes.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant