Chapitre 16 - Banc Public

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Le médecin accorda à Alice le droit de quitter l'hôpital quelques jours plus tard.

Marquand, un rien irritable à cause de ses points de suture et de l'hématome qui s'était formé audessus de son œil gauche, avait annoncé sans discussion possible, qu'il prendrait un jour de congé pour aider Madame le Juge à se réinstaller chez elle. Ses collègues avaient esquissé un sourire entendu, mais étaient restés le plus discrets possible ; les colères de Marquand étaient réputées dans toute la Crim' ; et même si tous jouaient un jeu de dupes en feignant de ne pas connaître la nature de la relation entre le Commandant et la Juge, mieux valait ne pas trop jouer avec le feu.

Noah avait ramassé la menue monnaie qu'il avait pariée avec ses collègues, juste de quoi satisfaire son insatiable gourmandise. En cachette de Marquand bien sûr, parce si celui-ci l'avait vu, une orageuse altercation aurait pu avoir lieu...

En marchant en direction de l'hôpital, Marquand souriait. Il sentait la joie couler dans ses veines, une joie simple, simple comme le bonheur de savoir qu'Alice allait rentrer chez elle, qu'il n'aurait plus besoin d'aller la voir dans ce lieu qu'il détestait. Pour lui c'était un peu inconnu, ce sentiment de se

réjouir pour les autres. Homme de caractère, de décision, d'action, il n'avait pas l'habitude de réfléchir à ce que ressentaient les autres.

Sauf que là, il s'agissait d'Alice. Et l'imaginer chez elle, imaginer sa joie de retrouver son appartement, ses affaires, la douceur de son foyer, ça lui faisait encore plus de bien que si ces choses allaient lui arriver lui. A part pour ses deux filles, il n'avait pas souvenir d'avoir jamais éprouvé quoi que ce soit de semblable. C'était un peu déroutant. Et pas désagréable.

***

Alice l'attendait, elle était prête. Elle avait revêtu avec plaisir ses vêtements de ville : un chemisier blanc, et un pantalon noir qu'elle n'avait jamais porté parce qu'elle l'avait acheté un peu trop grand un jour de soldes. Pour l'heure, il lui convenait parfaitement car il ne comprimait pas trop ses plaies sous ses pansements. Elle portait son collier fétiche, le torque argenté qui soulignait la grâce de son cou.

Marquand frappa à la porte et entra, son sourire de canaille aux lèvres.

- Bonjour Madame le Juge !

- Fred, on est seuls là !

- Alors, bonjour mon Amour.

Ils s'embrassèrent avec tendresse. Marquand s'écarta d'Alice pour la regarder.

- Comme tu es belle...

- Des compliments spontanés... Ca ne vous ressemble pas Commandant!

- Alice, on est seuls là !

- Alors, merci mon Amour !

Ils rirent de bon cœur. Toute leur complicité résidait dans ce petit jeu qu'ils s'amusaient tant à exercer dès que l'occasion se présentait.

Ils prirent un taxi et Marquand demanda au chauffeur de s'arrêter au bord de la Seine, près du Palais de Justice. Alice regarda l'imposante bâtisse avec un plaisir non dissimulé.

C'était bon de retrouver cet endroit familier.

La tenant par la main, l'incitant à marcher doucement, il l'amena jusqu'à « leur » banc. Alice était un peu surprise, mais elle ne disait rien.

- L'autre jour je suis venu ici... Je me suis rendu compte à quel point tu me manquais. Je me suis pris des souvenirs plein la gueule. Et puis je me suis dit qu'il manquait quelque chose.

Il invita Alice à s'asseoir près de lui et entoura ses épaules d'un bras protecteur.

- Quoi ?

- On en a déjà passé du temps, ici, depuis six ans. On s'en est dit des choses. Dix fois tu es partie en colère, dix fois c'est moi qui l'ai fait. Mais on ne s'y est jamais embrassé.

- Jamais ?

- Jamais, Madame le Juge.

- Il faut remédier à cela en effet, Commandant.

Il y avait de la douceur dans son regard posé sur lui ; il y en avait tout autant dans celui de Marquand. Il prit son visage entre ses mains et s'approcha. Leurs lèvres se trouvèrent spontanément. Leur baiser était rempli de tendresse, ils savouraient la douceur du moment. Le vent frais jouait avec les cheveux d'Alice et elle frissonna de plaisir. C'était bon d'être là, en paix, avec Lui. Elle n'avait pas besoin de promesses, de témoins, de papiers, de bague.

L'idée qu'il avait eue de l'emmener ici, sur ce banc, pour tirer un trait sur leur tumultueux passé commun, pour elle, ça valait tous les autres engagements. Il n'était pas homme à s'attacher aux symboles habituellement. Ca donnait d'autant plus d'importance au caractère précieux de ce moment.

***

- Ouah, le Flag' !!!

Surpris, Fred & Alice sursautèrent et se retournèrent.

Noah les observait d'un air goguenard ; il tenait un sandwich à la main, et était accompagné de Victor Lemonnier.

- Noah ! Alors tu te balades avec Victor maintenant! Se moqua Marquand.

Heureuse, Alice se leva et étreignit Victor puis Noah, leur exprimant sa joie de les revoir tandis que Marquand maugréait dans son coin contre son Lieutenant.

- Bon, Noah, il y a une chose qu'il faut que tu comprennes.

- Oui, Chef, quoi ?

- Ce banc, c'est le notre. Personne ne s'approche.

- Y'a pas de problème Chef ! Et vous comptez vous y prendre comment pour marquer votre propriété sur ce territoire ?

Là-dessus, Victor commença à expliquer les pratiques de différentes espèces animales en la matière, avec un ton très sérieux.

Noah & Alice explosèrent de rire. Marquand lutta lui aussi contre l'envie de se dérider, mais son orgueil prit le dessus et il adopta son air des mauvais jours.

- Dégage p'tit con !

Noah ne demanda pas son reste et partit en riant. Victor le suivit après avoir échangé quelques mots avec Alice pour lui exprimer combien il était heureux de la revoir en bonne santé.

Marquand regarda Alice.

- Dans le fond, je l'aime bien ce petit con.

***

Revoir la porte de son appartement. Savoir que Paul et son père attendaient juste derrière. Qu'elle pourrait s'étendre dans son canapé, avec des lumières tamisées – et non plus les néons agressifs de sa chambre d'hôpital – et un verre de vin à la main. Qu'elle pourrait enfin lire l'histoire du soir à son fils et l'embrasser au moment où il s'endormirait.

Que cette nuit elle pourrait se blottir contre le corps chaud de cet homme qui l'accompagnait.

Ca pouvait paraître simple et banal.

Pourtant, aux yeux d'Alice, cette perspective valait tous les bonheurs de cette Terre.

Tandis que Marquand lui ouvrait la porte, elle mit ses mains dans ses poches. Sa main droite effleura un morceau de papier. Elle savait ce que c'était : la date d'un rendez-vous avec le Docteur Rafael.

Ce qu'elle ne savait pas en revanche, c'est ce qu'elle allait en faire.


La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant