Chapitre 49 : Sur le départ

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Johann, l'interprète, accompagna Marquand et Juliette jusqu'à un bureau où ils pourraient relater les faits qui avaient failli les conduire à la mort.

Un homme de la cinquantaine les y attendait ; il se présenta comme Herr Müller, et sa fonction était équivalente à celle d'un divisionnaire outre-Rhin.

A sa demande, Juliette raconta tout le début de l'histoire, depuis les premières informations recueillies par Matthias, jusqu'à son contact avec Dragan, puis la disparition brutale et inexplicable du jeune-homme. Johann n'avait pas besoin de traduire car Marquand connaissait déjà le contenu des propos, et de toute façon il n'avait pas besoin d'intervenir au début du récit.

Ensuite arriva la partie où le père et la fille durent raconter les faits qui s'étaient produits dans la maison sordide du 39 JudenStraβe.

Johann assurait la traduction entre Marquand et Herr Müller. Juliette aurait évidemment été en capacité de le faire, mais le traducteur devait être une personne assermentée pour que le témoignage soit recevable.

C'était difficile pour le père et la fille de se remémorer ces événements très pénibles de leur vie. L'arrivée dans la maison, cette sensation d'oppression brutale dès qu'ils avaient vu le drapeau nazi exhibé comme un trophée dans la cuisine miteuse.

Marquand assommé, Juliette terrifiée, Dragan triomphant.

L'enfermement dans la cave, Matthias inconscient, la peur de mourir, le courage de lutter même s'il y avait peu d'espoir.

L'assaut de la BKA, la mort de Gregor dans les bras du Commandant.

Des heures d'obscurité, d'enfermement, de sentiment d'être dépossédés de leur humanité, de leur avenir, de leurs espoirs.

Sans qu'ils aient eu besoin de se concerter, le père et la fille, assis l'un près de l'autre, avaient cherché leurs mains pour les nouer ensemble et avoir ainsi plus de courage pour revivre ces souvenirs difficiles.

Ces épreuves, ces heures intenses passées côte-à-côte dans une atmosphère de guerre, les avaient soudés et leur avait permis de grandir ensemble, de se dire des choses qu'ils ne se seraient jamais dites en d'autres circonstances, d'échanger des gestes de tendresse qu'ils n'auraient jamais osé esquisser autrement.

Marquand regarda sa fille et il se sentit très fier de ce qu'elle était devenue : une vraie Marquand, courageuse, fonceuse, opiniâtre, allant au bout de ses convictions.

Et elle avait appris aussi. Appris la tolérance, appris que la vie n'était pas simplement une ligne droite que l'on suivait sans se questionner. Son amour pour Matthias, sa tendresse pour son père, lui avaient donné un peu de recul pour maîtriser et temporiser son caractère de feu, et ne plus juger les gens uniquement en fonction de leurs actes.

A l'évocation de Gregor, Marquand s'était figé.

Il avait très mal vécu ce moment tragique où le jeune néo-nazi était mort dans ses bras. Non pas qu'il ait une quelconque sympathie pour l'individu et les opinions qu'il défendait. Mais il avait recueilli cette supplique que lui avait adressée le mourant :

« Dites à ma mère que je ne lui en veux plus d'être à moitié Français ».

Il avait promis, et il avait aussi dit Adieu à tous ses démons cette nuit.

L'un d'eux s'appelait Le Mensonge.

- C'était quoi, le nom de famille de Gregor ? demanda Marquand.

Herr Müller, Juliette et Johann le regardèrent surpris.

- Epstein, Gregor Epstein.

- Et ses parents, où vivent-ils ?

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant