Alice avait décidé que ces moments à venir seraient inclus dans une parenthèse. Elle allait avancer, profiter de ce qu'il y avait de bon à prendre dans la vie, apprécier le soleil sur sa peau, les bras de Paul autour de son cou. Elle allait quitter leur appartement pendant quelques jours et cela allait lui faciliter les choses.
Une parenthèse pour vivre le moment présent, sans regretter le passé, sans se questionner sur le futur.
Lemonnier avait été enchanté à l'idée de les accueillir. En plus Théo était en vacances ; Paul, lui, ne relevait pas de la même académie, mais en Grande Section de Maternelle, il pouvait sans problèmes manquer quelques jours d'école.
Billets de TGV en main, Alice attendait son fils à la sortie des classes. Un petit sourire flottait sur ses lèvres. Comme ils allaient être bien tous les deux, loin d'ici, chaleureusement entourés par Edouard Lemonnier et sa légendaire prévenance.
Si Marquand revenait, eh bien il attendrait.
Chacun son tour après tout.
- Maman !
- Mon petit Paul !
Elle le serra fort contre elle.
- On part en vacances tous les deux mon bébé ? Ca te dit d'aller à la mer ?
- Oui maman, je veux aller à la mer !
Il lui fit un énorme câlin, visiblement heureux à la perspective de passer de bons moments avec sa mère, du temps qu'ils peinaient à trouver dans un quotidien toujours trop surchargé.
- On va où maman ?
- Chez Lemonnier, avec son fils Théo, à Marseille. Dans le Sud.
- Trop bien maman ! Et Fred, il sera là ?
- Non mon bébé, Fred est toujours fâché, il ne vient pas avec nous.
Devant la mine soucieuse de son fils, Alice le serra fort contre elle.
- Tu sais Paul, Fred il a besoin de se mettre en colère de temps en temps et de décider des choses tout seul. On lui parlera quand il reviendra. Mais là, on va profiter tous les deux, rien que toi et moi ! C'est chouette aussi non ?
Paul n'était pas contrariant. Il avait déjà vécu beaucoup de choses depuis tout petit. Il savait que la vie de sa maman était compliquée. Alors il fit oui de la tête en souriant, à l'image de sa mère qui arborait un joli sourire un peu plus apaisé.
Son parrain reviendrait car depuis qu'il était né, il avait toujours été présent.
De cela, Paul ne doutait pas un instant.
***
- Ausfahrt, Ausfahrt... grommela Marquand. Ca doit être une grande ville, depuis le temps que les panneaux l'indiquent !
Juliette éclata de rire.
- Euh, papa ! Il ne t'est pas venu à l'idée que ça pourrait vouloir dire « sortie » ?
Marquand sourit.
Un premier vrai sourire depuis ces chocs à répétition, ces désillusions, cette nuit sans sommeil, ces heures de colère, cette fuite en avant.
Juliette passa la main sur la nuque de son père et le caressa tendrement. Sa peau était toujours aussi douce que lorsqu'elle était petite fille et qu'elle jetait ses bras autour de son cou quand il la prenait contre lui.
- Bon, on va visiter « Ausfahrt » papa ? Ca nous ferait du bien de faire une petite pause.
- Allons à Ausfahrt alors, répondit Marquand dans un sourire.
Ils prirent une sortie d'autoroute et s'arrêtèrent dans le premier village qu'ils rencontrèrent. Ils avaient déjà bien roulé depuis le matin. Marquand commençait à se sentir fatigué mais il voulait absolument finir la route le jour-même.
A l'Est, toujours plus à l'Est.
Ils prirent un café dans un petit bar. Il n'y avait rien à manger à cet endroit dans l'après-midi, mais Juliette avait repéré une boulangerie un peu plus loin où elle entraînerait son père avec l'espoir qu'il mange un peu.
A cette heure-ci, elle présumait qu'il n'y avait guère que du whisky et du café dans son estomac depuis au moins la veille.
Elle avait de la peine pour lui de le voir dans cet état, si tourmenté. Mais elle savait aussi que parfois il fallait peu de choses pour qu'il s'emmure dans sa colère et ses contradictions. Elle le savait car elle avait tendance à réagir souvent de la même manière. Et quand cela commençait, nul ne pouvait prédire la fin de la période d'orage.
Mais parfois, un petit grain de sable se glissait dans l'implacable mécanisme d'autodestruction lié au « caractère à la Marquand ». Etant bien placée pour le savoir, Juliette entendait bien jouer le rôle de ce petit grain de sable.
Sans le savoir, mais tout comme sa sœur aînée encore inconnue, elle détestait voir son père s'enliser dans une spirale infernale dont il n'y avait rien de bon à attendre. Même si en ces instants elle était très déstabilisée par son inquiétude au sujet de Matthias, elle sentait aussi qu'il y avait une priorité dans l'urgence à sortir son père de son état de choc.
Juliette le regarda boire son café. Ses yeux étaient rougis par la fatigue.
Elle posa sa main sur sa joue et caressa doucement ses cernes avec son pouce.
C'était un geste qu'Alice avait souvent envers lui. Marquand ferma les yeux.
Aussi loin qu'il puisse aller, jamais il ne pourrait oublier ce que la tendresse de ce geste provoquait en lui.
***
Dans la nuit qui tombait doucement, Alice regardait défiler le paysage sous ses yeux. A la vitesse du train qui avançait dans le crépuscule, elle sentait sa tension s'apaiser peu-à-peu.
Juste une parenthèse.
Ne pas souffrir en attendant son bon vouloir.
Elle regarda son fils qui crayonnait son album de coloriage, installé sur la tablette du TGV. Dans quelques heures ils seraient arrivés à Marseille, et ils profiteraient tous les deux d'agréables moments. Elle s'en réjouissait d'avance, en admirant Paul.
Quoi qu'il advienne par la suite, jamais elle ne regretterait de connaître le bonheur d'être la maman de ce petit garçon.
***
Il était tard quand la berline de Marquand traversa les rues de Berlin. Juliette voyait que son père était épuisé et elle était soulagée à l'idée d'arriver enfin dans sa colocation. Elle le guida à travers le dédale des avenues et rues de la capitale Allemande.
Ils mirent un peu de temps à trouver une place. Ils sortirent leurs sacs de la voiture.
- Viens mon petit Papa, je crois que tu as besoin de repos.
Après quelques pas, Juliette glissa sa clef dans la serrure d'une petite bâtisse de quatre ou cinq étages tout au plus. Ils montèrent à pieds l'escalier en bois et entrèrent dans un appartement qui semblait plutôt vaste. Il était très tard et le calme régnait dans la colocation.
Elle leur présenterait son père demain. Elle était tellement fière de lui, de ce qu'il représentait pour elle. Elle souriait aussi à l'idée que sa mine mal réveillée le matin en ferait craquer plus d'une le lendemain.
Elle lui montra la salle-de-bains, puis sa chambre.
Marquand observa quelques minutes les décorations tendres et joyeuses dont sa fille avait agrémenté la pièce. Il se sentit bien dans cette atmosphère un peu enveloppante.
- Prend le lit papa, je vais aller dans le canapé.
Il protesta pour la forme mais finit par s'allonger dans le lit de Juliette. Elle resta auprès de lui jusqu'à ce que le sommeil l'emporte.
Elle déposa un baiser tendre sur sa joue qui piquait.
Ce soir, c'était à elle de veiller sur Lui.
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La Peur du Vide
FanfictionFan-fiction faisant suite à la série Française "Alice Nevers, le Juge est une femme" (Suite de la saison 12 diffusée au printemps 2014). Alice Nevers est Juge d'Instruction à Paris. Elle mène une vie bien remplie, avec son fils Paul, de 5 ans, issu...