Chapitre 92 : Place Dauphine

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Sur un banc, Marquand attendait.

Juliette l'avait prévenu de l'horaire et du lieu du rendez-vous, dès qu'elle en avait eu connaissance. Alors il avait décidé de s'y rendre, et d'attendre. Prêt à intervenir, prêt à s'interposer, mais surtout, plein de peurs indicibles.

Il l'avait dit à Lucie, qui avait eu toutes les peines du monde à l'empêcher de partir sur le champ. Sa place n'était pas là pour le moment. Ce temps d'explication, même s'il en était le principal responsable, ne devait pas avoir lieu en sa présence. Il avait fini par le comprendre, aidé par l'argumentation de sa fille aînée qui essayait de contenir de son mieux son impatience et son instabilité.

Lucie lui avait fait promettre, puisqu'elle ne parviendrait pas à le maintenir plus longtemps dans son appartement, de rester sur la Place Dauphine et d'attendre sans intervenir, le moment où la confrontation prendrait fin.

Marquand avait promis, parce qu'il sentait intuitivement qu'il n'était actuellement pas assez clairvoyant pour prendre ses décisions tout seul. Il avait appris ses limites, puisqu'il était allé à leur rencontre jusqu'à Berlin. Il s'en était approché, il les avait testées, il les avait même dépassées, et de beaucoup. Tellement, qu'il en payait encore le prix.

Et il n'était pas le seul. Avec lui, il y avait aussi Alice et Julia.

Il avait dit qu'il renoncerait à ses démons, il l'avait surtout promis, et il savait que pour tenir sa promesse, parfois, il devrait renoncer à écouter l'instinct qui le guidait plutôt vers une colère facile mais destructrice.

Il y avait ces Moitiés-d'Eux, au labo. Il avait tellement envie de leur donner une chance. Et puis, au-delà de ça, au-delà de ce désir-là qui était la cause et la conséquence de tout, il y avait juste Elle, avec ce qu'elle représentait pour Lui depuis toujours. Non pas un but dans sa vie, mais celle avec laquelle il lui était indispensable d'emprunter le chemin. Pas une âme sœur, pas la princesse des contes de fées, à peine la femme de sa vie.

La considérer comme telle, c'était comme sous-entendre qu'elle lui appartenait, qu'elle appartenait à sa vie. Or, Alice ne s'appartenait qu'à elle-même, et c'était aussi une chose qu'il aimait en elle : son indépendance farouche même dans l'adversité.

Sa place n'était pas aussi froide que la nuit de sa Rédemption, à Berlin. Ca n'était pas un muret en pierre glaciale ; c'était un banc peint en vert, sur la place Dauphine un peu terne en ce début d'après-midi maussade.

Marquand avait peur, peur de la perdre bien sûr, comme cela s'était déjà produit si souvent dans leur histoire. Mais ce qu'il ne ressentait pas, au contraire de sa nuit mortifère en Allemagne, c'était le poids de la Culpabilité.

Il avait beau essayer de convoquer tous ses démons à l'autel de sa conscience, celui-là refusait de se présenter. Alors, même s'il était pétrifié de peur, là sur son banc, Marquand se sentit toutefois un peu moins mal que deux mois auparavant.

Il accueillerait la sentence d'Alice comme il l'avait fait à Dijon. Mais il n'aurait pas de reproches à s'infliger pour augmenter encore sa peine. Il serait malheureux mais honnête. Ca ne le sauverait pas, mais ça lui permettrait de se regarder chaque matin dans le miroir sans avoir à baisser les yeux. Il aurait ensuite bien assez de temps et de solitude, pour préparer toute la suite sans Elle.

Pour le moment bien évidemment, il se refusait ne serait-ce qu'à l'imaginer. Il voulait penser à un futur intense, passionnel, comme tout leur passé. Jamais de demi-teinte, ni de demi-mesure. Toujours leurs sentiments bruts, à peine édulcorés par le filtre de leur conscience, et par les regards normalisés de tous les bien-pensants autour d'eux. Leur relation serait toujours, et quoiqu'il advienne, à l'écart de toutes les restrictions et les barrières auxquels les autres se contraignaient.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant