Chapitre 83 : Sélection artificielle

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A l'état crépusculaire, chacune des deux moitiés fut pourtant capable de reconnaître que cette autre partie, toute proche dans ce liquide sucré où il était si aisé de se mouvoir, était juste son complément parfait. Elles fusionnèrent. Elles s'étaient trouvés si facilement qu'il ne pouvait en être autrement : elles avaient été faites pour se rencontrer.

Lui, Elle, ces infimes parties d'eux, commencèrent une toute petite existence. La Rencontre avait eu lieu.

Manuel, le laborantin, les observait à travers son microscope sophistiqué. Quatorze ovules, c'était vraiment un beau résultat, il restait à savoir s'ils étaient compatibles avec les gamètes mâles avec lesquelles il venait de les mettre en contact, bien au chaud dans l'éprouvette.

Dans quelques heures, il pourrait se prononcer. Il avait vraiment hâte. Si tout allait bien, il s'envolerait vendredi pour Barcelone, avec son précieux chargement. Il était attendu avec impatience là-bas. Avec impatience et avec pas mal de billets aussi.

Dès l'instant où il avait vu ce couple sortir du bureau du docteur Rafaël, il avait été séduit par leur charme, leurs caractéristiques physiques, et même aussi par l'intelligence et la grâce qui émanaient de leurs échanges.

Manuel savait qu'il allait faire des heureux. Pour cela, il devait juste attendre La Rencontre. Sous ses yeux, si tout se déroulait comme prévu, les embryons se composeraient de deux cellules, puis de quatre, puis de huit...

Il pensa à cet autre couple, loin dans un pays Nordique, prêt à accomplir un long et couteux voyage pour caresser le rêve de devenir parents d'un enfant aux yeux clairs comme les leurs.

***

- Quatorze ? demanda Alice, déjà en alerte alors qu'elle venait à peine de se réveiller de son anesthésie. Il en dit quoi, le docteur Rafaël ?

- Il dit que c'est un très bon résultat, que c'est encourageant. Maintenant on doit attendre 48h00 pour savoir combien d'embryons vont se créer. Pour le moment, on ne peut rien faire de plus.

- Il a dit autre chose ? Je peux rentrer aujourd'hui ?

- Tu es si impatiente que ça ?

- Je n'aime pas cet endroit. Ca me met mal-à-l'aise, cette façon artificielle de faire les bébés. Je veux rentrer chez nous et essayer de croire que cette étape était juste un mauvais rêve. Je veux vite l'oublier.

- Dès que c'est possible, nous rentrerons toi et moi. On va attendre... Ca ne changera pas de ce qu'on fait depuis toutes ces semaines : attendre... Et je ne te quitte pas jusqu'à ce que tu sortes.

Marquand croyait encore que ce danger insaisissable qu'il percevait rôdait autour d'Alice.

Il ne savait pas qu'il s'était transposé ailleurs, et qu'il menaçait aussi quelques cellules totalement inaptes à se défendre.

***

Pensive, Juliette regardait par la fenêtre de la chambre d'amis où elle logeait avec Matthias depuis leur arrivée sur Paris. L'heure du retour à Berlin approchait mais elle avait du mal à s'y résoudre. Non pas qu'elle n'avait pas envie de retrouver ses études qui la passionnaient, et la petite troupe joyeuse de ses colocataires. Mais elle était inquiète pour son père à nouveau. Elle ne le sentait pas serein. Les événements de la veille n'avaient d'ailleurs fait qu'augmenter son état de tension permanente, de sorte qu'il avait quitté l'appartement au beau milieu du repas sans explications, pour retrouver Alice.

Depuis, elle n'avait quasiment pas eu de nouvelles, juste un message lui disant qu'Alice allait bien et que quatorze ovules étaient maintenant bien au chaud dans leur éprouvette.

La Peur du VideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant