Du bout des doigts [Yoonmin]

Chapitre 66

Cette musique n'avait pas de cohérence, aucune tonalité n'était exprimée plus qu'une autre, c'était totalement aléatoire, très différent de ce que Yoongi avait l'habitude de jouer – à savoir un thème musical qu'il répétait en variant la hauteur des notes, ou bien le tempo. Là, rien ne se démarquait, c'était un flou total, Jimin était incapable de dire quelle note viendrait ensuite, Yoongi jouait de façon totalement désordonnée et imprévisible, et pourtant le blondinet trouvait que c'était là une des mélodies les plus incroyables qu'il ait jamais entendue venant du jeune compositeur.

Oui voilà, c'était le mot juste : incroyable. Jimin ne pouvait pas croire ce qu'il entendait, ce que la musique disait, car la musique parlait, elle parlait pour Yoongi qui était si renfermé, elle hurlait ce qu'il sous-entendait, elle dévoilait ce qu'il cachait, et elle obligeait son cœur fermé à clé à s'ouvrir de façon magistrale. C'était spectaculaire, et Jimin ne pouvait rien faire d'autre que d'écouter, il était comme pris au piège des notes, comme enfermé au sein d'une portée magique qui l'empêchait d'agir.

Jimin sentit tout son être vibrer, son cœur défaillir, son corps frémir et se respiration se faire plus haletante à mesure que chaque note venait toucher son âme. Décidément, la musique jouait un rôle bien particulier dans sa vie depuis un mois. Il avait le sentiment qu'elle avait la capacité de permettre à Yoongi et lui d'être plus proches, pas seulement physiquement sur ce petit banc de cuir noir, mais surtout psychologiquement ; Jimin ne comprenait pas Yoongi, mais il comprenait sa musique. Quand il les jouait, ses mots étaient plus clairs, limpides et doux. Chaque fois qu'ils se retrouvaient pour un nouveau morceau, c'était comme un nouveau dialogue entre eux, un dialogue dont les notes remplaçaient les mots.

C'était là une proximité bien étrange, mais le blondinet la ressentait comme une proximité de leurs âmes, comme s'ils mettaient leur cœur à nu chaque fois qu'ils jouaient, de sorte à ce qu'ils puissent communiquer de cette façon. Au sujet de ses sentiments, Yoongi était muet, il gardait tout pour lui et n'avait que rarement extériorisé ses émotions.

Le piano était comme le théâtre de ses émotions, il lui permettait cette catharsis qui, d'une certaine manière, soulageait son cœur de tous les débordements qu'il frôlait jour après jour.

L'infirmier ressentait la même chose que son patient, il avait cette sensation au fond de son cœur que cette fois-ci, ce que Yoongi voulait dire lui était adressé, il ne s'agissait plus de simplement se défouler sur les touches en laissant ses passions le contrôler, non, cette fois-ci, le pianiste lui envoyait un message.

Malheureusement, s'il parvenait à toucher le cœur de Jimin, son message restait obscurs aux yeux du petit blond qui ne comprenait pas où il voulait en venir, alors même que de tout son être il savait que Yoongi voulait lui dire quelque chose d'important.

Jimin soupira en constatant que de toute façon il avait mieux à faire que d'écouter de la musique : vue l'heure, la lessive devait être terminée, il devait aller étendre le drap.

Il se dirigea de façon lasse vers la salle de bain, s'accroupit devant la machine terminée et en sortit le linge fraîchement lavé dont s'échappait une agréable odeur de lavande. Une fois sa tâche accomplie et le drap correctement étendu, il voulut aller toquer à la chambre de Yoongi, lui parler de sa musique, lui demander ce qu'il voulait dire, néanmoins il n'osa pas.

Il refusait d'entendre la réponse du brun tout comme il refusait d'entendre beaucoup de choses depuis quelques semaines... Ça en devenait ridicule, il le savait bien, mais il n'était pas prêt, là était l'évidence.

Il prépara lentement le déjeuner, perdu dans des pensées qui partaient dans tous les sens possibles et imaginables. Son esprit ne s'arrêtait sur rien en particulier et quand il « revenait à lui », tout disparaissait et il ne savait même plus à quoi il songeait la minute d'avant. Il voulait parler à Yoongi, son cœur était tiraillé, ses sentiments aussi, ça l'énervait de se poser des questions auxquelles il devrait avoir déjà largement répondu. Ce n'était quand même pourtant pas compliqué : soit il aimait Yoongi, soit il ne l'aimait pas, pourquoi était-il donc si confus ? Pourquoi tout était si complexe ?