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Au beau milieu d'un quartier aux nombreuses villas et voitures de luxe, un oisillon s'envola d'une branche nue pour en rejoindre une plus feuillue. L'air doux du printemps et les caresses du soleil illuminaient ce petit morceau de paradis, où l'on vivait calmement. Non loin de là, dans la grande maison blanche dont l'arbre bordait la propriété, une femme dormait à poings fermés sur un matelas douillet. L'oisillon se mit à chanter. Instantanément, les yeux de la dame s'ouvrirent, révélant leur bleu profond. La fenêtre était restée entrouverte pendant la nuit, et il commençait à faire particulièrement chaud. Le long rideau transparent se balançait calmement, au rythme du vent chaud qui soufflait dehors. L'oisillon reprit ses gazouillis de plus belle. Les jolis yeux bleus se tournèrent vers la droite. Il n'y avait plus personne sur le gros oreiller blanc douillet.

Delphine Delorme soupira et se dégagea du grand lit double, entièrement blanc. Elle s'habilla, recoiffa légèrement ses longs cheveux châtains dans son petit miroir rond, accroché au mur. Une moue triste se dessina sur son visage délicat. Elle déprimait. Depuis un moment, déjà, elle avait dépassé la quarantaine.

Elle prit son tout nouveau portable, et sortit de sa chambre. Elle appela :

— Philippe ? Austin ?

Aucune réponse.

— Évidemment, marmonna-t-elle, un qui dort, l'autre qui bosse.

Elle descendit les escaliers en se tenant à la rambarde. Une fois le pied au rez-de-chaussée, elle se rendit dans la cuisine, et écarta les grands et longs rideaux pour laisser entrer la lumière. Dehors, l'herbe jouissait d'un vert éclatant, tout comme les feuilles des arbres. Le ciel affichait un bleu magnifique. Nous n'étions qu'au mois d'avril, et c'était l'été avant l'heure.

Delphine se prépara un café et choisit l'orange la plus parfaite possible, parmi son bol de fruits rempli jusqu'à ras-bord.

— Austin, chéri ? Debout ! affirma-t-elle en haussant la voix, il ne faut pas que tu sois en retard en cours ! Papa et moi ne sommes pas en colère pour hier soir.

Elle récupéra son café, et porta l'ensemble de son petit-déjeuner vers la table basse du salon. Son attention s'arrêta sur une feuille, laissée sur la table. Elle posa ses doigts délicats dessus et la porta à ses yeux. Parfois, Philippe, son mari, lui laissait des petits mots pour lui dire qu'il rentrerait tard, afin qu'elle ne s'inquiète pas. Et souvent, elle faisait pareil. Mais aujourd'hui, elle ne bougeait pas de la maison. Delphine commença à lire la lettre, tout en portant son café à ses lèvres. Ses yeux s'écarquillèrent. Elle lâcha la tasse, qui se brisa en mille morceaux sur le carrelage.

— Oh mon Dieu... oh mon Dieu !

Tétanisée, elle posa la lettre sur la table et sortit son portable de sa poche. Ses doigts tremblants parvinrent à composer le numéro de son mari.

« Bonjour, vous êtes bien sur le répondeur de Philippe Delorme, laissez-moi un message, je vous rappellerai au plus vite ».

— Philippe, rappelle-moi très vite. C'est Austin... Il est... parti.

...

31 mars 2019, trois jours plus tôt.

— Bip bip ! Bip bip !

Austin Delorme ouvrit un œil. Puis l'autre. Il tira délicatement sa couette blanche et s'assit sur le bord du lit, observant son reflet dans son grand miroir. Ses yeux noisettes luisaient à la lueur du soleil, et mettaient en valeurs ses cheveux bruns. Il passa une main sur ses joues rasés de près, se massa le crâne, se leva puis s'habilla. Il descendit en trombe les escaliers et salua ses parents.

— Bien dormi ?

— Ouais, répondit-il dans un sourire, avant de se servir un bol de céréales avec du lait.

Il s'affala sur le canapé blanc, en face duquel se tenait un grand écran. Philippe Delorme avait mis France 2.

— Aujourd'hui, des gilets jaunes, toujours en position partout en France. Les autoroutes A6, A49, A85 et A46 seront fermées, ainsi que les routes départementales autour de Paris. Hum. Ce week-end, une nouvelle manifestation est prévue tout autour de l'arc de triomphe. Nous vous tiendrons au courant des prochains événements. Hum.

La journaliste blonde qui présentait le journal, Austin la voyait chaque matin. Elle avait toujours la même frange sur le côté droit. Elle tenait sa feuille de la main gauche, et avait la mauvaise habitude de se racler constamment la gorge.

Il engloutit son petit déjeuner et remonta à l'étage pour se préparer. En un clin d'œil, il redescendit, toujours à une vitesse folle, et disparu sans un courant d'air. En refermant la porte d'entrée derrière lui, son portable vibra. Il le sortit et le consulta : Un snap de trois amis. Austin déverrouille son téléphone et ouvre celui d'un dénommé David en premier : Une grosse boule de feu sur un fond noir avec un texte : Déjà 100 flammes avec toi, mon seigneur ! Sehr schön.

David était un très bon ami d'Austin, dans la même classe que lui. Il n'avait même pas remarqué, que cela faisait déjà cent jours qu'ils s'envoyaient des snaps tous les jours. Austin ouvrit ensuite celui d'Amanda, une amie de sa classe : Une photo d'elle au volant de la voiture de sa mère. Elle venait d'obtenir son permis.

Il marcha jusqu'à l'arrêt de bus couvert, où une dame, qui devait avoir la trentaine, attendait, elle aussi. Il faisait froid. Beaucoup trop froid pour parler de poissons d'avril le lendemain. Austin avait remonté le col en laine blanche de sa veste en jean bleu marine sur son cou. Il portait un chinos bordeaux auquel il avait fait des ourlets, et des chaussures Nike noires et bleues. Il avait déjà branché ses écouteurs et avait lancé la musique « Dead or alive » de Bon Jovi. Ce matin-là, il se sentait capable de courir sur des kilomètres en chantant, voire en hurlant, les paroles de la chanson. Malheureusement, le cours de philosophie qui l'attendait drainerait bien vite toute sa vitalité.

Collé contre la fenêtre du bus à regarder les arbres défiler, Austin s'imagina tel un cow-boy au beau milieu du désert californien. Il chevaucherait un grand étalon brun, avec un chapeau de cuir qui lui tomberait sur les yeux.

Un bruit de frein le ramena à la réalité. Le bus avait pilé devant l'arrêt où il était censé descendre. Austin attrapa son sac et fila hors du véhicule. Un vent de fraîcheur le recouvrit entièrement. Devant lui, il y avait un grand rond-point. Et qui dit grand rond-point, dit grand bazar. Une masse impressionnante de véhicules parvenait à s'entasser dans ce cercle. Et seulement une fois bloqués, ils se mettaient tous à klaxonner en même temps, chacun aussi pressé que les autres, à tel point que la circulation et la communication en devenaient impossible.



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