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Au bord de l'herbe mousseuse, Austin séchait doucement, le soleil caressant sa peau. Recroquevillé, il observait l'horizon d'un œil fasciné, s'imaginant quelques instants vivre ici, loin de Paris et de ce brouhaha qui le fatiguait à longueur de journée. Derrière lui, Jane et Lou se tenaient les mains et s'agitaient dans tous les sens. D'après la jeune fille, c'était une « danse » particulière. Et la petite était presque allée jusqu'à la supplier de lui montrer. Le walkman et les écouteurs roulés en boule dépassaient du sac à dos de Jane. Austin s'en empara, les brancha dessus et fouilla dans une poche extérieure, parmi les cassettes qu'elle avait emportées. L'une d'elle était intitulée « Drivin' on 9 » des Breeders. Cédant à la curiosité, il la déposa dans le lecteur et pressa le bouton. Une voix féminine apaisante vint lui caresser les oreilles, provoquant des frissons partout dans ses bras et hérissant ses poils blondis par la chaleur. Des notes aigües de mandoline et la mélodie d'un violon accompagnèrent bientôt le chant, transportant le garçon dans ses pensées. Il posa ses yeux sur Jane et Lou, qui sautaient et dansaient en se tenant la main, sur le rythme de la musique. Le temps avançait au ralenti, suivant la cadence douce de la voix ensorcelant Austin. La jeune fille vêtue couleur d'émeraude affichait un beau sourire, que le soleil observait du coin de l'œil. Elle semblait plus belle à chaque jour qui passait. Sa maladresse se transformait en élégance, et son énergie en joie. Ses mains lestes et accueillantes guidaient celles de la petite fille, qui se laissait tourner du bout des doigts. Le garçon ferma les yeux, silencieux, et tendit l'oreille. Au-delà de la musique, il pouvait entendre son rire. Elle avait gardé celui d'une petite fille, insouciante. Tout devait paraître si beau, à travers ses yeux. Austin réalisa, tandis que la musique se finissait, du sourire qui s'était formé sur ses lèvres. Il tourna la tête plus loin sur la rive et plissa les yeux. A quelques dizaines de mètres de là, gisait une barque, et une pagaie.

...

— Ça ira, tu crois ?

— Mais oui, pff !

Dans la barque et munie de la pagaie, Austin était accroupi avec Lou derrière lui. Sur la rive, Jane tenait fermement les rênes des chevaux. Elle pointa la forêt du doigt.

— Je contourne, ça ne me prendra pas si longtemps. Et vu que tu n'as qu'une pagaie, je parie que j'arriverai avant vous.

Le garçon s'esclaffa, plongeant l'instrument de bois dans l'eau, et marmonna :

— Tu peux courir, ma vieille...

— Je vais te prendre au mot.

Sur ce, ils s'élancèrent chacun de leur côté, l'un sur la terre ferme, et l'autre sur le lac. Une fois Jane hors de portée, Austin continuait à pagayer comme si sa vie en dépendait, manquant de faire chavirer le petit bateau. Se tenant comme elle le pouvait, Lou grimaça et gronda :

— Hé ! Moins vite ! Tu réalises qu'on va l'attendre une heure, si tu vas à cette allure ? En plus, tu vas faire tomber les sacs à l'eau...

Le garçon se figea et laissa reposer la rame sur les bords de la barque. Il déglutit en haletant, reprenant tant bien que mal son souffle, et eut un rictus.

— Tu as raison. Elle ne pourra jamais nous rattraper, on a gagné d'avance.

La petite fille afficha une mine désespérée, et posa sa tête sur ses deux mains en recroquevillant ses doigts. Le calme, et les ondes qui résonnaient sous l'eau l'agaçaient, alors que le garçon semblait aux anges. Le regard de Lou se posa sur le carnet vert, qui dépassait de la poche arrière du chinos d'Austin. Elle s'en empara et commença à le feuilleter avec attention. Son propriétaire se retourna et fronça les sourcils, tentant de lui reprendre :

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant