Le Journal des Vagabonds

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Tandis qu'ils dégustaient leur repas en silence, L'homme se pencha vers eux, pas peu fier de la cuisine qu'il leur fournissait.

— C'est bon, hein ?

Austin sursauta, manquant de faire tomber sa fourchette sur le carrelage. La petite fille ne put réprimer un rire moqueur avant d'hocher la tête.

— C'est très bon.

Le barman reprit son sérieux et se pencha vers eux en chuchotant dans sa barbe :

— Dites... Si j'étais vous, je mettrai une casquette. Même ici, vous ne passez plus vraiment inaperçus.

Le garçon se raidit. Sa faim s'estompa aussi rapidement qu'un coup de vent. Il déglutit. Constatant son inquiétude, le serveur les rassura :

— Ne vous en faites pas, je n'ai pas confiance en ce que dis la télé.

— Et qu'est-ce qu'ils disent... ?

Il pointa Austin du doigt.

— Ils disent que toi... tu l'as kidnappée, elle.

Le jeune homme laissa tomber ses couverts dans son assiette et enfouit sa tête dans ses mains. Bouleversée, Lou jongla entre le regard désolé de l'homme et celui du garçon, qui semblait soudainement abattu.

— C'est pas possible... murmura-t-il. Pourquoi ?

— Eh bien... Des témoins l'ont entendu appeler au secours devant son ancienne maison. Et puis, tu ne l'as pas ramenée dans son foyer.

— Il ne manquerait plus que ça... pesta-t-elle en croisant les bras. C'est tous des enfoirés.

— Ton langage, souffla Austin en se massant les yeux.

Elle se contenta de secouer la tête.

— Vous en faites pas, marmonna le barman, s'ils viennent jusqu'ici, je leur dirai que je ne vous avais pas reconnu, et que vous aviez plus l'air d'être frère et sœur qu'autre chose.

En silence, ils terminèrent leurs assiettes. Malgré ce qu'il venait d'entendre, Austin se résolut à manger. Son estomac était bien trop vide pour qu'il puisse le négliger de la sorte.

...

Il était déjà vingt-et-une heures. Enfoncée dans un siège, Lou se sentait toute ballonnée. Ce steak-frites était probablement le meilleur qu'elle ait mangé. Malgré la discrétion dont le barman leur avait conseillé de faire preuve, le pianiste, complètement soûl, s'était penché sur Austin pour lui demander s'il faisait de la musique. Cet andouille avait hoché la tête. Et maintenant, ils jouaient tous les deux au fond de la pièce, lui sa guitare en main, et l'autre louchant en tentant de ne pas confondre notes blanches et noires. Chantant comme une casserole et un air d'imbécile joyeux, il empêchait le garçon de pouvoir gratter les cordes, tant il se tordait de rire. Il était devenu rouge comme une tomate, incapable de reprendre sa respiration. Lou décocha un sourire léger. Voir Austin relâcher la pression lui procurait un bien étrange. Depuis leur rencontre, il se montrait stressé et désorienté. Ce soir-là, ses doutes semblaient s'être envolés. Elle se massa sa nuque couverte de bleus tout en songeant. Cette idée lui réchauffait le cœur.

La lumière des gyrophares traversa les vitres pour se refléter sur les murs sombres. Le serveur se liquéfia, en lâchant presque son verre, et se précipita vers le garçon, en le tirant de son tabouret. Ce dernier venait de se faire éblouir par les lueurs. La petite fille se leva en trombe et courut les rejoindre.

— Vous devez partir ! Ils sont là...

Austin fronça les sourcils, déconcerté. Lou le tira par la manche, sentant son pouls s'accélérer. Le barman ouvrit brusquement la porte arrière du bar et balaya le lieu du regard. Le pianiste s'était déjà endormi sur l'instrument. Le reste de la salle n'avait rien remarqué, entrainés par la musique d'ambiance qui sortait des enceintes disposées partout dans la pièce.