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Lundi 27 avril, dix heures trente du matin. De gigantesques cernes s'étaient formés sous les yeux de Lou. Elle avait passé une nuit dans la maison du commissaire. A son arrivée sur le seuil, Diane Jenvier s'était réjouie d'avoir la petite à la maison, et en avait profité pour cuisiner une tarte aux pommes. Après s'être goinfrée sous les yeux ébahis du commissaire, Lou s'était couchée avec un large sourire aux lèvres. Mieux valait une nuit là-bas que dans le foyer Sainte-Marie. Malgré tout, elle ne put fermer l'œil de la nuit. Et maintenant que le soleil s'était levé, Lou se retrouvait face à ce grand bonhomme habillé comme Sherlock Holmes, qui la toisait avec un air insupportable. Air qu'il s'était bien gardé d'adopter la veille, pendant le repas.

— Donc, tu t'appelles... Lou Martin ?

La petite fille laissa brusquement tomber sa tête dans ses bras et souffla d'agacement.

— Oui ! Vous le savez, non ?

— Désolé... Je dois faire un rapport.

Le commissaire Jenvier sortit son carnet violet et fit cliquer son stylo avant de griffonner le nom de son interlocutrice. Il se racla la gorge et poursuivit :

— Austin Delorme était avec toi du samedi 4 au samedi 18 avril, le jour de son arrestation. C'est bien ça ?

— Oui...

— T'a-t-il retenue contre ton gré ?

La petite fille fronça les sourcils, affichant une mine grimaçante.

— Hein ?

— Hum... Est-ce qu'il t'a kidnappé ?

Elle secoua nerveusement la tête.

— Non ! C'est moi qui voulais rester avec lui, ne pas être toute seule...

— Hm.

L'inspecteur se tut quelques instants pour noter ces paroles précieuses de la petite fille. Derrière lui, une petite caméra braquée sur le visage de Lou enregistrait leur discussion.

— Est-ce que tu as peur de lui ?

Surprise, Lou pouffa. En comprenant que Jenvier était très sérieux, elle se ravisa, et haussa les épaules :

— Quand il mangeait ses sandwichs au thon et aux anchois, il me faisait peur. Sans rire... ça ne vous répugne pas, vous ?

L'inspecteur contracta sa mâchoire, puisant dans toutes les ressources de son corps pour rester sérieux. La petite était spontanée. Elle disait la vérité. Un léger rictus se dessina sur les lèvres du commissaire. Il avait vu juste, depuis le début. Austin n'était pas le grand méchant que les médias essayaient de présenter. Il réalisa, qu'à toujours vouloir chercher un coupable, on en oubliait parfois l'importance de la réalité. Jenvier posa son stylo parallèlement aux pages du carnet, et joignit ses mains en posant les coudes sur la table, le regard plongé dans les yeux bleus de Lou.

— Alors, selon toi... Austin est innocent de ce dont on l'accuse ?

Le regard perdu dans ses pensées, elle hocha lentement la tête, tandis qu'un élan de douceur se dessina sur son visage.

— Très bien. Je note.

Après quelques instants de silence, le commissaire jeta un œil à sa montre gousset et claqua des doigts.

— Et avec Alia ?

Le cœur de Lou jaillit hors de sa poitrine. Entendre ce nom lui donna une soudaine sueur froide. Impossible pour elle de savoir si c'était agréable ou non. La petite fille déglutit, puis balbutia :

— Vous la connaissez ?

L'homme hocha la tête en souriant.

— Je sais que vous êtes proches, toutes les deux. Je me suis dit que tu aimerais savoir où elle est, maintenant.

Une lueur d'espoir s'immisça dans les yeux de Lou.

— Oui... S'il vous plaît.

— Elle a finalement trouvé une famille d'accueil, il y a une semaine. Ils sont près d'Orléans.

Le visage de l'orpheline s'adoucit, mais l'inspecteur lut un éclair infime de tristesse dans ses yeux. Il ajouta :

— Le reste de tes camarades ont changé de foyer. L'ancien a fermé. Madame Lavigne et ses employés sont derrière les barreaux.

Un sentiment de victoire s'empara du cœur de la petite fille, qui prit une grande inspiration. Mais l'angoisse ressurgit aussitôt. Elle murmura :

— Et moi ? Qu'est-ce qui va m'arriver ?

Jenvier soupira et haussa les épaules.

— Nous allons y réfléchir. Retourne avec Émile, pour le moment. Il va te faire patienter dans un endroit plus confortable qu'une cellule.

Il ouvrit la porte, laissa Lou sortir et suivre son adjoint, avant de refermer la porte. Il coupa la caméra, déposa calmement ses lorgnons sur la table, et poussa soudainement un cri de victoire. Jenvier en tambourina du poing sur la table en fer, repassant en boucle dans son esprit les paroles de sa mère « la vie est injuste ».

Le sergent Boris ouvrit la porte d'un air ahuri, et posa son regard sur celui de son patron, qui réajustait son costume.

— ... Tout va bien, chef ?

— Oui ! Oui, tout va très bien. Merci.

— Au fait... Delorme arrive dans quelques minutes.

— Philippe ?

— Non... Le petit.


Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant