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Comme prévu, les parents d'Austin s'étaient pointés devant l'appartement de Monsieur Preto. Depuis la cour de l'immeuble, Delphine criait le nom de son fils. Celui-ci se tourna vers la fenêtre depuis le tabouret et souffla :

— Elle ne changera jamais.

Il se redressa non sans peine. Il sentait tous ses os se courber, lui faire un mal de chien, comme s'il avait soixante-dix ans. Sans même vouloir s'observer dans le miroir de la salle de bain, il devinait ses cernes entourant ses yeux. Heureusement, il avait pu prendre plusieurs douches. Mais apprendre le morceau avait pris plus de temps que prévu. Vêtu du même tee-shirt et pantalon bleu depuis son arrivée, il avait passé ses journées à tourner en rond dans l'appartement, inquiet de ce qui pourrait arriver si on le reconnaissait à l'extérieur. Maintenant, il pouvait imaginer la détresse de certains étudiants, à force de rester dans leurs chambres n'étant parfois pas plus grandes que ce studio. Après tous les problèmes qu'il avait causés, il se demanda finalement s'il n'avait pas eu ce qu'il méritait. En entendant ses parents grimper les escaliers, pleins d'inquiétude, il ricana en silence. Rien n'était plus ridicule, que de les revoir, inchangés depuis qu'il était parti. Alors que lui, avait le sentiment d'être quelqu'un d'autre.

Une fois dans l'appartement, son père demeura stoïque, les poings serrés, adoptant une posture ferme, à son habitude. Sa mère, dans tous ses états, se rua vers lui pour le serrer dans ses bras, comme si elle et sa progéniture avaient été séparées pour toujours.

— Oh, mon chéri !

S'attendant à essuyer un nouveau sermon, le garçon demeura impassible, debout dans les bras de sa mère. Une semaine passée ici, à ne rien faire d'autre que de tout remettre en question et se taper la tête contre les murs sur les simples ordres de Preto, avait été insupportable. Mardi, en feuilletant le carnet après sa séance de musique acharnée, il était retombé sur l'adresse de Jane. A ce moment précis, des centaines de papillons avaient semblé éclore dans son ventre. Habillés de mille couleurs différentes, tous aussi beaux les uns que les autres. Son cœur s'était emballé. En laissant sa tête reposer contre un oreiller « Johnny Hallyday », il avait fermé les yeux, pour se souvenir. C'était parfois dur, de faire cet exercice. Par exemple, Austin ne se souvenait jamais de ce qui se trouvait dans ses cours. Même en y mettant la meilleure volonté du monde. Là, c'était différent. Ce mardi soir, après le coucher du soleil, il se rappelait de tout. C'était comme voir un film, créé par son esprit : le pull vert d'abord, les mèches blondes, scintillantes parmi les autres, ce regard doux, ces yeux clairs et ce sourire aimant. Jamais en écoutant la meilleure des musiques, son esprit n'était allé aussi loin. Allant jusqu'à oublier sa situation, au beau milieu d'une ville jonchée d'immeubles où les gens faisaient semblant de s'y plaire... Il s'imagina sur le porche de la ferme. La légère brise soufflait encore, et les nuages se mêlaient au ciel bleu. Le garçon la serrait encore contre elle, tandis que le banc se balançait en grinçant. Plus rien n'avait d'importance. Et ce jour-là, il avait enfin compris, le cadeau de la vie. Ce soir-là, il avait joint ses mains devant lui, pour dire merci, d'avoir pu voir ce que certains ne verraient jamais.

— Austin...

Son esprit rejoignit la réalité. Philippe se tenait devant lui, un air féroce dessiné sur son visage. Aucune peur ne traversa le regard du garçon. Personne ne pourrait plus rien lui enlever, maintenant. Et peu importait ce qu'on pourrait lui dire, lui seul serait maître de son destin. Prêt à essuyer un nouveau sermon, il défia son père du regard. Ce dernier le prit dans ses bras. Aussi longtemps qu'il s'en souvienne, c'était la première fois. Pas de reproche, aujourd'hui. Juste l'émotion. Celle de retrouver son enfant, que l'homme d'affaires croyait perdu. Austin demeurait bouche bée, face au mur. Il se rendit compte à cet instant seulement, de toute la rancœur qu'il avait nourrie envers eux, simplement parce qu'il se sentait différent. Jusqu'à en oublier, qu'il était toujours leur fils. Celui pour qui, ils se battraient toute leur vie. Il agrippa le dos de son père et fondit en larmes.

...

Ce soir-là, ils n'avaient pas parlé à table. D'habitude, les sujets de discussions tournaient entre les devoirs d'Austin, et le nombre de nouveaux produits vendus par ses parents. Ça s'arrêtait là. Mais, ce vendredi 24 avril, aucun d'entre eux ne savait plus quoi dire. Déblatérer les normes communes à chaque repas était devenu insupportable, à mesure que leurs problèmes grandissaient. Il devenait impossible de les nier. Le garçon avait retrouvé sa chambre, impeccablement rangée pour son arrivée. Sur son trépied, il installa la nouvelle guitare électrique, et referma la porte de sa chambre à clé. Il s'allongea sur son lit douillet, observant le plafond. Comme s'il était de retour à la case départ. Il se souvint de cette journée, et de la citation sur les réseaux sociaux : « Essayez toujours d'accomplir quelque chose chaque jour, et vous atteindrez votre objectif ! ».

Il respira, pensant au nombre infini de personnes probablement passées devant cette phrase, et l'ayant oubliée le lendemain, reprenant leur train de vie ennuyeux, écoutant les utopistes et martelant qu'ils avaient raison... sans jamais rien changer de leur côté. Face à la peur que le garçon avait pu ressentir, le soir de sa fugue, un frisson glacé le parcourut. Ce soir-là, il aurait pu renoncer. Cette simple idée le terrorisa.

Chassant tant bien que mal ces ondes négatives, et réalisant le cœur léger qu'il avait fait le bon choix, il se redressa, ouvrit le carnet à la page soixante-trois et attrapa la Stratocaster par le manche.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant