Mardi 28 avril. Austin se réveilla seul dans la grande maison. Philippe avait décidé sur un coup de tête d'emmener Delphine en vacances, en retournant en Bretagne, lieu de leur premier voyage trente ans plus tôt. Il se réveilla avec un tournis infernal, qui s'accrocha à sa tête pendant de bonnes minutes. Il enfila ses vêtements et songea qu'il serait bon de prendre l'air dans le jardin pour s'apaiser l'esprit. En ouvrant la porte, il respira à pleins poumons l'air du printemps qu'y s'installait. Son téléphone vibra. Curieux, il fouilla dans sa poche et le déverrouilla. Il avait reçu un SMS de la part d'un inconnu. Il lut :
Austin,
Je savais que je ne finirais pas d'entendre parler de toi. Figure-toi que Sully a finalement réussi à réparer la radio. On a pu écouter ton exploit en direct, dimanche dernier ! Un gentil passant m'a prêté son téléphone pour que je t'envoie ce petit mot. Heureusement que tu avais laissé ton numéro à Sully (j'espère que c'était le bon). Je ne sais pas trop ce que vous avez prévu, avec la petite, mais il y a un gigantesque feu d'artifices organisé à Montpellier, le soir du 3 mai. Alors, je ne suis pas très douée pour ce genre de trucs, mais... passe me voir.
Jane
Le cœur du garçon fit un bond dans sa poitrine. Il sentait éclore des milliers de papillons dans son ventre. Mais son esprit l'abattit dans les secondes qui suivirent, ne lui laissant pas le temps de savourer chaque mot que la jeune fille avait écrit. Les films qui s'écrivaient dans sa tête demeuraient impossibles, maintenant. Dans quelques jours, il serait loin d'ici, au milieu de grands musiciens et de collines vertes, entouré de gens parlant anglais. Il soupira, referma son téléphone et tourna les talons en attrapant sa veste en cuir noire. Il avait rendez-vous à neuf heures au commissariat, pour honorer sa part du marché. La mort dans l'âme, il quitta la maison et ferma la porte à clé derrière lui, sans musique dans les oreilles.
...
Dans son bureau, le commissaire Jenvier observait inlassablement le cadre contenant une photo de lui petit, dans les bras de sa mère. Sa voix résonnait encore en lui. Ce sentiment de justice, qui lui semblait dépasser le bonheur de n'importe quelle autre situation... il ne le ressentait pas. Pourtant, l'affaire était classée. C'était fait. Les muscles tendus, la mâchoire serrée, il se prit la tête dans ses mains et murmura pour lui-même :
— Est-ce que c'est juste ?
Émile Ventoux toqua timidement à sa porte, le tirant de ses songes.
— Entrez.
Son adjoint lui adressa une mine fatiguée.
— C'est l'heure, monsieur...
— ... D'accord.
Patrick Jenvier se redressa, déposa le cadre face cachée sur son bureau, se racla la gorge et sortit de la pièce d'un pas déterminé. Dehors, Lou se tenait assise sur un banc, entourée de deux policiers immobiles comme des statues. En l'observant, le cœur du commissaire se serra. Il lut en elle le regard de l'orpheline revivant la mort de ses parents, l'abandon. Le sentiment que quoi qu'il arrive, elle resterait seule au monde.
Austin approcha, au coin de la rue. Comme si elle était dotée d'un radar, la petite fille bondit et se rua vers lui, les larmes aux yeux. Les policiers n'eurent pas même le temps de la voir partir, qu'elle se trouvait déjà dans les bras du garçon. Après avoir attendu quelques secondes bien trop rapides, ils les séparèrent et installèrent Lou sur la banquette arrière d'une voiture de prêt. Celle-ci n'imposa aucune résistance.
Le regard honteux, Jenvier plongea les mains dans ses poches et avança doucement vers Austin. Il se racla la gorge, sortit un papier qu'il tendit à Austin, et murmura :
— Bravo pour ton permis.
Il marqua une pause, jeta un coup d'œil à sa montre et reprit :
— Elle ne sait pas que c'est toi qui l'emmènes là-bas.
Austin écarquilla les yeux, balbutiant :
— Vous ne lui avez pas dit ?
L'inspecteur secoua la tête.
— Lorsque nous avons émis la possibilité qu'elle retourne en foyer, elle est devenue hystérique. J'ai préféré taire la vérité. C'est assez dur comme ça.
— Mais alors... où pense-t-elle que l'on va ?
— Elle a beaucoup réclamé Alia. Et toi. Je lui ai promis que tu l'accompagnerais la voir.
Jenvier marqua une pause, et pointa la voiture du doigt.
— L'adresse d'Alia est sur le tableau de bord. Et en dessous, celle de l'orphelinat.
Austin croisa les bras, sentant une angoisse tempétueuse grandir dans son corps. En fermant les yeux, il imaginait déjà le regard empli de haine de Lou, qui l'accuserait de l'avoir abandonnée, comme tous les autres.
— Elle ne se laissera pas faire, une fois arrivée là-bas...
Émile Ventoux s'avança et mit ses mains dans son dos.
— Elle n'a pas l'air dans son assiette, aujourd'hui... Je doute qu'elle proteste longtemps.
Le cœur d'Austin se serra. D'ici quelques heures, la seule chose qu'elle verrait, serait une nouvelle chambre inconnue, loin de tout ce qu'elle avait pu connaître ou aimer. Jenvier posa une main sur l'épaule du jeune homme, le sortant de sa torpeur. Il plongea ses yeux dans les siens, et murmura :
— ... C'est pour son bien.
Austin hocha lentement la tête, affligé. Sans en attendre davantage des policiers, il tourna les talons et s'installa sur le siège conducteur. Dans le rétroviseur, il adressa un tendre regard protecteur à la petite fille, qui demeurait silencieuse devant la dizaine de policiers qui les surveillaient.
— ... Tu es prête ?
Elle déglutit, ravala sa tristesse et hocha la tête.
Le garçon sentit dans ses yeux qu'elle savait où ils allaient. Après tout, il restait le plus nul des menteurs. Si bien qu'il n'avait besoin de rien dire pour se trahir. Il démarra, enclencha la première vitesse d'une main tremblante et accéléra, laissant la ville derrière eux.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...