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Jenvier s'installa face à la petite fille, dans une salle de classe au tableau partiellement effacé, et s'installa sur le bureau du professeur. Elle prit place en face de lui. L'homme croisa les doigts en lui portant un regard sérieux, la dévisagea plusieurs secondes. Il lut un air sauvage et méprisant en elle. D'un geste de la main, elle redressa le col de son tee-shirt pour cacher ses bleus.

— Qui était Lou, pour toi ?

Les bras toujours croisés, elle s'enfonça dans son siège et laissa des mèches de ses cheveux sombres passer devant ses yeux couverts de diamants.

— Une copine.

— Et les autres, ce sont tes copains, aussi ?

— Oui. Mais elle, c'est... ma copine.

— Celle dont tu es le plus proche, donc ?

D'abord hésitante, elle hocha finalement la tête. Le commissaire sortit son carnet violet et fit cliquer plusieurs fois son stylo, tout en le faisant tournoyer autour de son doigt, avant de prendre quelques notes. En constatant la corne au bout de ses doigts, Alia lui fit un signe de tête :

— Vous faites de la guitare ?

Surpris, Jenvier fit une rature sur sa page, et jeta un regard désorienté à la petite fille.

— Oui, bredouilla-t-il, j'en ai fait. Comment tu as deviné ?

— La corne, sur vos doigts.

Intrigué, il reposa son stylo et posa ses avant-bras sur la table. Il sourit :

— Et toi, Alia ? Tu joues d'un instrument ?

Elle hocha la tête en mimant le piano avec ses doigts d'un air amusé. Jenvier ne put réprimer un rire léger, et croisa les bras.

— J'ai remarqué un piano, dans une pièce du foyer. C'est là-bas que tu en faisais ?

— J'ai appris à cet endroit. Je jouais même la nuit, pour emmerder la directrice.

Elle marqua une pause, jetant un coup d'œil vers le bas. Tandis qu'elle frottait ses mains entre ses jambes, ses joues se mirent à rougir.

— Lou aimait bien me regarder jouer. C'est comme ça qu'on s'est rencontrées.

Calmement, le commissaire griffonna quelques mots dans son carnet, sans la quitter des yeux. Constatant qu'elle n'en dirait pas plus, il murmura :

— Est-ce que tu sais si elle connaissait un garçon du nom d'Austin ?

Alia secoua radicalement la tête.

— Elle m'en aurait parlé, sinon.

— D'accord...

Il rangea d'un air formaliste son bloc-notes et son stylo dans la poche de sa belle veste sombre, jeta un coup d'œil à sa montre gousset puis se racla la gorge.

— Tu savais qu'elle s'enfuirait ?

La petite fille garda le silence, les lèvres serrées. Le silence s'installa dans la salle de classe, mais Jenvier ne la quittait pas des yeux. Alia tenta tant bien que mal de fuir son regard, sans succès. Elle songea qu'il devait être un dieu au jeu de « ne cligne pas des yeux ». Elle finit par acquiescer :

— Elle m'a demandé de venir avec elle. Je me suis dégonflée.

— Si tu veux mon avis, tu as bien fait. Ce n'était pas une bonne solution.

Alia répliqua :

— C'est pourtant grâce à elle que vous nous avez trouvés, non ?

Jenvier demeura le regard fixe un instant, puis haussa les épaules en se relevant.

— C'est ce que l'on va essayer de découvrir. Merci pour ton témoignage. Je vais te raccompagner.

Sur ces mots, il quitta la pièce. Alia lui emboita le pas. Arrivés devant la porte du dortoir, le commissaire posa sa main sur la poignée et jeta un regard interrogatif à la petite fille.

— Alia ?

— ... Oui ?

— Qui a eu l'idée de faire une bataille de coussins ?

— ... C'est moi, monsieur.

— Hm. C'est bien ce que je pensais. Allez, va te reposer.

...

L'enquêteur retourna d'un pas pressé vers le commissariat. A peine eut-il franchi la porte d'entrée, que le sergent Boris surgit devant lui, haletant, le téléphone d'Austin dans la main.

— Tenez... Commissaire... Regardez dans les messages.

— Vous avez réussi à le déverrouiller ?

L'homme enrobé posa ses grosses mains sur les hanches et hocha la tête en soufflant.

— 3664...le code.

— Bon travail.

Il déverrouilla le portable et parcourut l'application « messages ». Après quelques secondes à fixer l'écran, il écarquilla les yeux et interpela le sergent.

— Oui, commissaire ?

— Convoquez-moi Pierre-Louis Berger.

— Là, tout de suite ?

— Immédiatement.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant