— Austin ? Austin, tu es avec moi ?
— Hein ?
Monsieur Preto soupira. Assis sur sa banquette de velours noir, il joignit ses mains et déposa ses lèvres sur le bout de ses doigts. Tout en fixant son élève, il émit un petit grincement entre ses dents, signe qu'il réfléchissait.
— Dust in the wind, l'introduction. Allez.
Austin se frotta les yeux d'un air déprimé, empoigna le manche de sa guitare, et plaça ses doigts en position de Do.
Aujourd'hui, la guitare n'avait pas ce son pétillant dont le garçon se souvenait. Les notes sonnaient mal, ses doigts posés sur le manche souffraient, et les autres grattaient les mauvaises cordes.
— Arrête, arrête, lança Preto en faisant un signe de la main.
Austin ne se fit pas prier. Il lui tendit l'instrument en signe d'abandon. Il grinça entre ses dents :
— Alors, vous voulez toujours me faire prendre plus de cours ?
Son professeur secoua la tête, se leva et posa la guitare contre le mur bleu ciel, avant de se racler la gorge.
— Tu sais, Mozart n'était pas au sommet de sa forme chaque jour.
Austin laissa passer un silence, avant de marmonner, interloqué :
— Attendez... Vous me comparez à Mozart, là ?
Preto éclata de rire.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit ! Mon garçon, il te reste un sacré chemin à parcourir avant que je ne te compare au Dieu de la musique.
Il reprit son souffle et poursuivit, cherchant quelque chose du coin de l'œil :
— Où est ta housse ?
— Je ne l'ai pas apportée.
Son professeur le fixa d'un air ahuri.
— Tiens donc. En voilà, une drôle d'idée. Je connais beaucoup de musiciens, mais tu es le seul à venir sans ta housse...
Austin déglutit et haussa les épaules.
— Qu'est-ce qu'il se passe, mon garçon ?
Son professeur retourna s'asseoir en face de lui et croisa les bras, attendant une réponse de pied ferme. Austin inspira profondément, grattant les cornes de ses doigts en sueur. Il entendait le tic-tac de sa montre, lui rappelant que l'heure tournait.
— J'en sais rien...
Preto se releva et se rua vers un tiroir de bois peint en blanc.
— Où est-ce que je l'ai mis...
— Qu'est-ce que vous faites ?
Tout en fouillant et triant les centaines de papiers contenus à l'intérieur de cette table de chevet, le professeur marmonna :
— Après le bac, je ne savais pas ce que je voulais faire. J'ai décidé de prendre une année sabbatique. Je suis parti de la maison, avec un peu d'argent, et j'ai cherché des endroits où travailler.
Austin se leva à son tour, les mains dans les poches, observant les guitares sur le mur.
— Pourquoi vous me racontez tout ça ?
— Un jour, je suis tombé sur un vieux motard qui avait besoin d'aide pour retaper son garage. C'est lui qui m'a fait découvrir la musique.
Il marqua une pause et observa le parc, par la fenêtre. Un des professeurs s'était installé sur un rondin de bois pour jouer.
— Je suis resté quelques mois avec lui. Quand je suis parti, il m'a offert la guitare. Et ça.
Il se retourna vers Austin, un carnet vert foncé à la main. Son élève l'interrogea du regard.
— Ouvre-le.
Il le prit délicatement dans ses mains, retira la petite ficelle qui le maintenait fermé et commença à le feuilleter.
Le Journal du Vagabond
— C'est moi qui ai choisi de l'appeler comme ça... A l'époque, je me déplaçais à pied, alors...
Austin tourna la page.
Take The Long Way Home – Supertramp
En dessous du titre, des grilles de six traits étaient dessinées au crayon. Des ronds pleins apparaissaient de part et d'autre sur les traits. Le garçon tourna rapidement les pages. Les grilles remplissaient toutes les pages, si bien qu'il ne restait presque pas de blanc.
— Ce sont des notes, murmura Austin.
Preto hocha lentement la tête.
— Il y a là-dedans une bonne quinzaine de musique à apprendre du début à la fin, à la guitare. Et il reste quelques pages vierges.
Le garçon referma doucement le carnet et replaça l'élastique, interrogeant son professeur du regard.
— Je veux que tu le gardes.
— Pourquoi ?
Preto retourna chercher la guitare posée contre le mur et la tendit à son élève.
— J'espère qu'il t'aidera autant que moi.
Austin reprit son instrument sans un mot. Le professeur sourit :
— C'est la fin du cours pour aujourd'hui. A bientôt, mon garçon.
— A bientôt...
Il tourna les talons et quitta l'établissement en silence, le carnet dans la poche de son jean.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...