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La caméra redémarra. Jenvier sortit à nouveau son carnet et son stylo les déposant sur la table, puis s'installa en replaçant ses lunettes au bout de son nez. En face de lui, le garçon se tenait les mains, appréhendant ce moment. Le commissaire pouvait ressentir son anxiété. Il sourit, ouvrit son carnet à la page de la déposition de la petite fille, et déclara :

— Lou Martin affirme être restée avec toi, de son plein gré, du samedi 4 au samedi 18 avril, jour de ton arrestation. Confirmes-tu ses propos ?

— Oui.

Aux anges, Jenvier griffonna quelques mots supplémentaires avant de refermer son journal, et sourit jusqu'aux oreilles.

— Très bien ! Tu es un homme libre, Austin Delorme.

Il se retourna vers la caméra et l'éteignit, avant de se rasseoir en soufflant, devant le regard stupéfait du garçon.

Il se pencha vers Austin en plissant les yeux et soupira :

— Tu es quelqu'un de bien. Comme je te l'ai déjà dit, tu es responsable de plusieurs délits. Mais, je vais faire une exception pour cette fois.

Il s'enfonça dans son siège, en jubilant, et croisa les bras.

— Alors ? Qu'est-ce que tu comptes faire, maintenant ?

Le garçon fronça les sourcils et haussa les épaules.

— Je... Je ne sais pas.

Jenvier laissa échapper un rire nerveux, haussa les sourcils et s'avança à nouveau.

— Ton professeur de musique a reçu un mail, ce matin...

Il marqua une pause, se racla la gorge et articula :

— Le conservatoire de musique national d'Irlande a entendu ton exploit à la radio. Ils veulent que tu intègres leur formation, sans te faire passer par le concours.

Austin reçut l'information comme un coup de massue. Les yeux étincelants, le commissaire s'imagina déjà à sa place avec une guitare au bord des sommets rocheux et verts.

— Tu réalises ? C'est l'une des meilleures écoles au monde, Austin. Si tu y vas, tu deviendras un grand musicien jusqu'à la fin de ta vie.

— Et pour Lou ?

Un silence s'installa. Peu à peu, le sourire de Patrick Jenvier s'effaça. Il récupéra son carnet et le rangea doucement dans sa poche, avec le stylo.

— Elle rejoindra ses camarades dans son nouveau foyer, à Orléans.

Austin écarquilla les yeux. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Le commissaire poursuivit :

— C'est la seule option possible.

— Et si... et si elle venait avec moi là-bas ?

— Ce n'est pas à elle de décider... Et toi non plus. Aux yeux de la loi, tu n'as pas les compétences requises pour l'adopter.

Le garçon se sentit bouillir de l'intérieur. Il aurait voulu rétorquer à cet inspecteur de pacotille que rester une semaine avec elle sans argent devrait suffire.

— Lorsqu'elle aura dix-huit ans, ajouta Jenvier, elle fera ce qu'elle voudra. D'ici là, la loi s'en charge pour elle.

Il marqua une pause, constatant la mine désemparée du garçon, et murmura :

— Austin... ce n'est qu'une affaire d'années. Et l'Irlande, c'est... une opportunité en or ! Beaucoup de gens aimeraient être à ta place.

Dévasté, le garçon prit sa tête dans ses mains, ne sachant plus que penser. Les songes s'entremêlaient dans son esprit. Le sentiment de puissance et de bonheur infini qu'il avait ressenti la veille lui manquait déjà. Mais elle... ne lui manquerait-elle pas davantage ? L'Irlande, ses maisons de briques sombres, ses pluies apaisantes et ses magnifiques paysages naturels pourraient enfin lui permettre d'aimer la vie à sa juste valeur. Après tout, quelle autre porte de sortie se présentait à lui ?

— C'est d'accord... Seulement si c'est moi qui l'emmène à Orléans.

Le commissaire s'esclaffa en croisant les bras :

— Tu n'as pas le permis... je me trompe ?

— Je le passe cet après-midi. Vous pourrez appeler l'auto-école de Chatenay, pour recevoir les documents provisoires en urgence.

Jenvier demeura de marbre quelques secondes, ne s'accordant pas un clignement d'œil. Puis, il hocha la tête.

— Bien.

— Vous l'avez prévenue ?

— Pas encore. Je compte le faire après notre entretien.

Le garçon passa une main nerveuse dans ses cheveux, les rabattant en arrière. Les longues mèches frôlèrent le bout de sa nuque rasée. Il se frotta les yeux, ne laissant pas paraître son abattement. Il se leva brutalement et marmonna :

— Dans ce cas, je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Au revoir, commissaire.

Austin referma la porte de la pièce d'interrogatoire derrière lui, laissant Jenvier seul face à la conclusion de l'affaire.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant