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Dans une belle chambre aux murs teintés de rose, deux âmes s'enlaçaient, sous les draps pâles et légèrement bleutés. Des coquelicots étaient déposés dans un vase gorgé d'eau, proche de la fenêtre, éclairés par la lumière du soleil. Un oisillon vint se poser sur le rebord et les observa, penchant vigoureusement la tête à gauche et à droite. Succombant à la curiosité de ces larges pétales rouges, il s'approcha en sautillant sur ses petites pattes. Son bec pouvait presque toucher la vitre, maintenant. Dans le lit double, une silhouette se redressa délicatement. Impressionné par ce tas de muscles qui se dessinait devant lui, le petit oiseau décolla et s'éloigna, battant des ailes le plus vite possible et s'éloignant par-dessus les toits des maisons, dans le ciel. Soucieux, Pierre-Louis l'observa partir de ses yeux couleur saphir. Carla se redressa à son tour et déposa un baiser dans son cou. Ce dernier n'eut aucune réaction, le regard perdu vers le vase rempli de coquelicots. La jeune brune appuya sa tête dans le creux de son cou et suivit son regard.

— A quoi tu penses ?

Le garçon demeura silencieux. Huit jours. Huit jours, depuis qu'il l'avait vu, sur ce parking. Et aucune trace de lui. Aujourd'hui, il espérait presque qu'il pousserait la porte de la chambre, un large sourire aux lèvres, et qu'il s'esclafferait : « Je vous ai bien eu, hein ? ». Mais la porte demeurait close. Sans le moindre signe de vie derrière elle.

— Je me demande où il est... murmura-t-il enfin.

— Austin ? Tu sais, je ne me fais pas de soucis.

Il fronça les sourcils, dévisageant sa copine. Elle renchérit :

— Je suis certaine qu'il reviendra. Tu vas voir. J'ai raison.

Un sourire se dessina sur les lèvres du grand blond.

— Tu as toujours raison, hein ?

— C'est une de mes nombreuses qualités !

Il posa une main délicate sur son cou et colla ses lèvres aux siennes. Doucement, ils se faufilèrent à nouveau sous la couette. L'oisillon réapparut sur le rebord de la fenêtre.

...

A Montpellier, le ciel nuageux pleurait toutes ses larmes sur la ville, lui offrant un charme maussade, et l'odeur apaisante de la rosée du matin. Les ruissellements d'eau coulaient entre les pavés, se rejoignant pour atteindre les plaques d'égouts glissantes. Un grondement fit trembler les murs en briques sombres des maisons mitoyennes. Un éclair déchira le ciel, au loin, vers la mer.

Allongé comme une étoile de mer sur un matelas trop petit pour lui, Austin s'était effondré comme une masse. Un filet de bave s'était traîné sur sa couchette pour terminer sa trajectoire sur le plancher couvert de mégots de cigarettes. Les yeux clos, il avait ronflé au moins aussi fort que son père, durant toute la nuit. Adossé contre le bar, Sullivan essuyait une gueule de bois insurmontable. Dans un verre à mojito, un cachet d'aspirine fondait dans l'eau du robinet en pétillant. Il serra les dents et pesta bruyamment :

— Putain, il en fait un bruit, ce médoc à la con !

Une pile de gobelets vides dans la main, Jane haussa les épaules en le prenant de haut :

— Ne t'en prends qu'à toi-même, Sully. C'est la même chose tous les lundis matins.

Elle vida les ordures dans un sac poubelle mais laissa tomber la moitié des saletés à côté. Elle poussa un soupire agacé et se baissa pour ramasser. Son regard croisa celui d'une fille aux cheveux châtains à moitié assoupie sur une chaise.

— Excuse-moi, Luna. Tu pourrais aller réveiller sa petite sœur, s'il te plait ? Ce sera plus rapide pour tout ranger.

Pour toute réponse, la jeune fille décroisa ses jambes et se leva dans un gémissement. Jane descendit les escaliers en veillant à ne rien faire tomber et ouvrit la porte de la maison. Malgré l'ambiance triste qui régnait dans la rue, la lumière du jour éblouit la jeune aux pointes blondes et au pull vert. Agressée par la lueur, elle ferma les yeux et jeta à l'aveugle le sac remplit de bouteilles de bière. Elle constata avec brio qu'il avait atterri dans la poubelle vide.

— Yes !

Elle referma la porte, un sourire de fierté enfantine au bout des lèvres, et grimpa en trombe les escaliers. Elle se figea brusquement, observant un peu partout les déchets restants. Ses yeux se posèrent sur Austin, toujours dans les vapes. Une idée lumineuse lui traversa l'esprit. Elle empoigna un balai et s'accroupit vers lui, penchant sa tête d'un air moqueur, observant le filet de bave couler.

— Plutôt mignon, quand il dort.

Elle agita les poils du balai sous son nez, et gloussa, une main sur ses lèvres. Au bout de quelques secondes, sans comprendre ce qu'il se passait, le garçon entrouvrit un œil. Soudain, il éternua plus fort que jamais, embrasant sa gorge déjà en feu depuis la veille. Les yeux grands ouverts, il mit une éternité avant de voir nettement autour de lui. Surpris de constater que Jane se tenait au-dessus de lui, un balai à la main, il fronça les sourcils.

— ... Quoi ?

Elle ne put réprimer son fou rire, devant ces yeux globuleux qui la fixaient lourdement.

— Tu as une tête de poisson !

Il se redressa d'un air grincheux, et s'assit en tailleur sur le matelas.

— Quelle heure est-il ?

— Onze heures et demie...

Il se frotta un œil, réalisant soudain que sa tête pesait une tonne, et que son cou serait incapable de la soutenir longtemps. Son estomac semblait se tordre et se retourner dans tous les sens. Une désagréable sensation nauséeuse grimpa dans son cerveau. C'était comme tanguer sur un bateau, avec des voiles noires... Et une bouteille de rhum.

Oh, non. Pas du rhum.

Il se prit la tête dans ses mains en gémissant et secoua hardiment son caisson.

— Qu'est-ce qu'il m'arrive...

Depuis le comptoir, Sullivan lui leva son verre rempli d'aspirine et esquissa un sourire forcé :

— Avec plaisir, mon pote.

Jane s'accroupit et approcha sa tête de gamine de celle d'Austin. Elle souffla :

— La bonne nouvelle, c'est que tu n'as commis aucun dégât hier soir. La mauvaise, c'est qu'il faut ranger, maintenant.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant