Samedi 11 avril. Austin et Lou arriveraient bientôt au terme d'une journée chaude et ensoleillée, silencieusement contemplée sur le dos ambré de Prince. A mesure des routes, chemins et sentiers traversés, l'air du sud était apparu, emplissant leur narine d'une odeur salée de liberté. Les pins se multipliaient, et tous les grillons du paysage chantaient à tue-tête. Devant eux, le soleil brillait toujours, les illuminant comme les projecteurs d'une scène. Le cheval se languissait d'une pomme juteuse qu'il avait avalé une heure plus tôt. A l'horizon, ils pouvaient désormais voir de leurs yeux neufs l'écume des vagues avancer vers la terre. Impossible pour la petite fille de dormir. Ses mains sur les épaules du garçon, elle passait sa tête de gauche à droite, cherchant l'angle le plus propice pour la contempler, la bouche ouverte. Sur leur gauche, ils apercevaient les grands immeubles de la ville de Marseille. Devant eux, la route goudronnée menait à un grand rond-point où circulaient les voitures, où les coups de klaxons se multipliaient. Prince resta de marbre face à ce brouhaha, avançant sans jamais se retourner ou se laisser perturber.
La pancarte du petit village était taguée, si bien qu'il fut impossible pour Austin de lire son nom. Les belles petites maisons étaient ornées de briques rouge bordeaux, contrastant avec la couleur du sable. Quelques habitants se tenaient dehors, assis sur des chaises ou debout, les mains dans les poches. Au trot, le cheval avançait lentement, gênant les grosses voitures dont le moteur réchauffait l'air déjà lourd, et baissaient leurs vitres pour s'énerver. Pour toute réponse, la petite fille se retournait vers eux et leur souriait. L'espace d'un instant, Austin eut peur qu'elle ne réplique. Mais rien n'aurait pu gâcher cette journée, où elle se retrouvait enfin en face de la mer. Celle dont son père lui avait tant parlé lorsqu'il était encore de ce monde.
Au pied d'un palmier, un homme muni d'une guitare électrique et de deux gros amplis se mit à jouer. Tapant du pied, un chapeau de paille sur la tête, sa peau était de la couleur du cuivre. Un micro, face à sa bouche, il chantait magnifiquement bien. Il ne fallut qu'une poignée de secondes au garçon pour reconnaître « Sultans of Swings » de Dire Straits. Un sourire se dessina sur ses lèvres, tandis que l'homme à la guitare d'un bois verni à la couleur du soleil mordait ses lèvres en s'engageant dans un solo. Autour d'eux, dans les rues adjacentes, les habitants frappaient des mains, dansaient sans raison particulière dans les petites ruelles. Un marchand exposait son barbecue avec une dizaine de saucisses sur le feu, et beuglait :
— Viande pas chère, Messieurs Dames ! Deux euros le hot-dog !
Au loin, sur la plage, un groupe d'enfants jouait au volley sans filet. L'un d'eux reçut le ballon de plein fouet sur le crâne, et se laissa tomber sur le sable. Il éclata de rire, déclenchant celui de ses camarades par la même occasion. Austin caressa la crinière du cheval et se pencha vers lui :
— On est bientôt arrivés, mon pote... Allez !
Prince s'élança dans la grande rue, flanquant une frousse monumentale à deux mamies sorties acheter des melons. Arrivé sur un ponton, le garçon tira sur les rênes pour l'arrêter. La plage était bondée. Mais le sentier de planches de bois semblait traverser la gigantesque colline de roche séparant la côte en deux parties. Apercevant un mélange de jaune et de bleu dans le creux de la roche, Austin effectua une pression de ses deux pieds sur le corps de l'animal et agita les rênes. Le cheval s'élança sur le ponton. Lou s'accrocha du mieux qu'elle pouvait. Ses longs cheveux blonds lui passèrent devant les yeux. Elle passa une main sur son crâne pour les rabattre et afficha un large sourire, éblouie par la beauté infinie qui s'allongeait devant elle. C'était la première fois qu'elle se tenait devant la seule étendue qui ne cacherait pas le soleil avant qu'il ne se couche.
Ils disparurent soudainement sous un tunnel de pierre. Les coups de sabots majestueux de Prince résonnaient dans la roche. Une lueur blanche les illumina. Un lieu de paradis perdu se dessina progressivement, sous leurs yeux ébahis. Le cœur d'Austin se réchauffa. Même lui, il n'avait jamais vu de plage aussi belle de sa vie.
Le cheval enfonça un sabot dans le sable blanc et avança doucement, jusqu'à s'arrêter, happé lui aussi par le doux bruit des vagues. Le garçon se tourna vers Lou, qui ne pouvait s'arrêter de sourire.
— On est arrivés...
Sans demander son reste, elle sauta du cheval, se réceptionna tant bien que mal sur les milliers de grains blancs, et s'élança vers la mystérieuse étendue bleutée qui s'assombrissait au loin. Austin descendit calmement et attacha les rênes à un morceau de bois séché planté profondément dans le sol. Ne pouvant contenir sa joie, la petite fille éclata d'un rire pur et harmonieux. Sentir ses pieds glisser sur le sable fin, lui rappelait qu'elle faisait partie de ce monde. Elle ferma les yeux, tendit les bras et se laissa porter par la brise réconfortante. Son cœur s'apaisa, au rythme des vagues qui ruisselaient à quelques mètres d'elle. Elle pouvait presque entendre la voix de son père, résonnant mystérieusement depuis les fonds marins. Elle rouvrit les yeux et fixa la mer, comme si elle lui appartenait. Secouée par l'adrénaline de l'instant, elle bondit vers l'eau, perdit l'équilibre et se laissa tomber sur les milliers de gravillons qui s'envolèrent devant ses yeux. L'écume allant et venant sur le rivage caressa le bout de ses petits doigts. Le reflet de la lueur du jour s'étendait devant Lou, infinie et belle. Au sommet de la colline de roche, un essaim de mouettes blanches s'envola, se mêlant à la teinte rosée du ciel, battant fièrement des ailes en direction du soleil couchant. La petite fille les suivit des yeux, fascinée, et transportée dans un monde différent. Calme, éblouissant, et heureux.
— Alors, c'est ça, la mer...
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...