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Lundi après-midi, quinze heures. Les mains crispées sur le volant, Austin était certain que ses yeux pourraient s'échapper de leur orbite quand bon leur semblerait. Il était épuisé, n'avait que très peu dormi. Le même rêve le réveillait à chaque nouvelle heure que le temps leur offrait. Devant lui, les essuie-glaces s'agitaient, apparaissant et disparaissant dans un geste dansant. Ils semblaient bien débordés, par les trombes d'eau qui s'étalaient sur le pare-brise. Il jeta un coup d'œil dans le rétroviseur, remarquant la petite fille tournée vers la vitre. Il entendait ses doigts grincer. Elle dessinait un visage souriant, avec la buée. Après avoir observé la carte de fond en comble, Austin avait remarqué un morceau d'autoroute qui ne nécessitait pas de passer par le péage. Il s'y était donc engagé, quitte à recevoir les torrents d'eau et le vent contre lui. La grande route s'enfonça dans le creux de deux hautes montagnes. Lou effaça la condensation sur la vitre pour s'émerveiller devant les monts enneigés qui se tenaient en face d'elle.

— Waouh...

L'apparition d'une vingtaine de lumières rouges clignotantes obligèrent le garçon à ralentir, jusqu'à l'arrêt. En quelques minutes, un air glacial s'installa. La température baissait nettement, et le chiffre des degrés chutait minute après minute. Les gouttes se transformèrent en flocons. Après presque une heure de bouchons, la belle voiture s'engagea sur la première sortie, direction Lyon. Ils avaient contourné Clermont-Ferrand par les petites routes. Austin s'arrêta brusquement. La petite fille sentit son cœur bondir hors de sa poitrine.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Le garçon se mordit les lèvres en poussant un soupir. Devant lui, un panneau jaune « Déviation » le toisait, indiquant un chemin de terre qui s'engouffrait dans la montagne. La route était barrée. Lou se laissa retomber dans son siège, hébétée.

— Tu penses que la voiture passe par là ?

Il souffla, chevaucha le volant à droite et déclara :

— On va vite le savoir.

Le véhicule s'engagea sur le long sentier couvert de caillasse et de terre boueuse, grimpant au sommet des montagnes.

...

Très vite, la voiture prit de la hauteur, dévoilant à chaque tournant les sapins ensevelis par des masses de neige. Un castor se fraya un chemin dans un petit tunnel de glace, et frôla la voiture. Apeuré, il se retourna et déguerpit, les poils hérissés sur son dos. Arrivés au bout de l'ascension, un paysage merveilleux se dressa sous les yeux d'Austin et Lou. Froid, et sauvage. Une cascade semblait se déverser depuis les nuages, plongeant l'eau dans un lac d'un bleu profond qui trônait entre les montagnes. Ils pouvaient voir la cime des arbres alignés dans la gigantesque crevasse qu'ils contournaient.

Un bruit sourd fit sursauter Austin. Hébété, il observa autour de lui, cherchant d'où venait le problème technique. Il enfonça la pédale d'accélérateur. Le moteur ronfla, mais rien ne se passa. Un éclair illumina ses yeux.

— On n'a pas de pneus neige...

Il rabattit sa capuche noire et ouvrit sèchement la portière. La brise sifflait dans ses oreilles, le couvrant de flocons, qui semblaient aimantés à ses yeux. Il souffla. Les deux roues avant s'étaient enfoncées dans une masse de mousse blanche.

— Putain...

Il ouvrit la porte arrière et indiqua le volant à Lou.

— J'ai besoin que tu ailles devant, pour faire accélérer la voiture ! Je vais pousser, derrière.

Ahurie, elle secoua la tête :

— Je ne sais même pas si mes pieds touchent les pédales...

— Appuie avec tes mains, dans ce cas. C'est celle de droite.

Sur ce, il se dirigea derrière le coffre, et plaça ses doigts gelés contre la carrosserie. Il les observa un instant, remarquant qu'ils avaient viré au violet. La petite fille se faufila sur le siège avant en position de plongeon, ferma son poing et l'écrasa de toutes ses forces sur la pédale. Le garçon serra les dents et poussa. Il poussa à s'en déchirer les muscles, tandis que ses semelles glissaient sur le sentier blanc. Au bout d'une dizaine de secondes, il frappa nerveusement sur le coffre :

— Ça ne marche pas ! L'expression « comme un lundi » prend tout son sens.

Lou sortit dehors, lui jetant un regard interrogatif.

— Qu'est-ce qu'on fait ?

— J'en sais rien, merde !

Il lui tourna le dos et commença à faire les cent pas, le cerveau en ébullition. Il se frotta durement les yeux avec son pouce et son index.

— Qu'est-ce que tu fous ici ? se murmura-t-il.

Une voix rocailleuse surgit derrière lui :

— Hé !

Il se retourna brusquement et fronça les sourcils. Une silhouette sortie de nulle part s'approchait d'eux. Un vieil homme noir, portant une petite barbe blanche et une capuche sur la tête. Il était vêtu d'un sweat et d'une veste de bûcheron à carreaux, aux couleurs rouges et bleues. Il les dévisagea :

— Qu'est-ce qu'il vous arrive, les jeunes ?

Austin et Lou échangèrent un regard interdit. Le garçon réalisa qu'il était responsable de leur sécurité. Son pouls s'emballa. Il ravala sa peur et s'approcha de l'homme :

— D'où est-ce que vous sortez ?

Le vieil homme haussa les sourcils, et se retourna en pointant la pente du doigt.

— Mon chalet est juste en dessous.

Austin jeta un rapide coup d'œil. C'était vrai. Le bûcheron s'approcha de la voiture et sifflota :

— C'est un sacré modèle, mon gars !

Il se pencha sur les roues avant et fit la grimace.

— Vous n'avez pas de pneus neige ?

— Non... bredouilla la petite fille en tirant son bonnet contre ses oreilles.

Il se retourna vers eux et pointa leurs vêtements du doigt.

— Vous n'avez rien d'autre à vous mettre ?

Ils baissèrent lentement les yeux et secouèrent la tête.

— Vous devez être frigorifiés...

Il marqua une pause et marmonna dans sa barbe avant de repartir en direction de la pente, en agitant sa main.

— Venez vous mettre au chaud. Quand la tempête se sera calmée, je vous donnerai des chaines pour les roues.

Austin coupa le contact de la voiture et se figea, en suivant le vieillard des yeux d'un air méfiant. Ce dernier se retourna vers lui et haussa les épaules en riant :

— A moins que tu ne préfères te transformer en esquimau, mon gars !

Lou lui prit la main et le tira en avant :

— Allez, viens.

Le garçon céda, descendant prudemment le bout de pente enneigé, vers le chalet en bois sombre, tandis que le soleil disparaissait derrière les montagnes, ne laissant bientôt que le brouillard s'emparer de dehors.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant