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Le professeur retira son casque, après cinq minutes d'écoute. Sa mâchoire serrée, il hocha vigoureusement la tête en direction de son élève, tentant de ne pas laisser sa joie transparaître.

— Ça va le faire.

D'abord soulagé d'entendre ça, Austin déglutit mais bredouilla, en se tournant vers la grande salle :

— Je ne peux pas les accompagner pendant tout un concert, c'est... Je ne sais même pas...

— Pas d'inquiétude ! le stoppa Preto. Charles est guitariste, ils n'auront pas besoin de toi, sauf...

Il arrêta sa phrase, et pencha sa tête vers le journal vert, toujours dans la poche arrière du garçon. Il tendit la main et lui fit signe de le lui donner. Il l'ouvrit à la page soixante-trois et le brandit sous le nez de l'adolescent, avant de poursuivre :

— ... A la fin ! La seule chose que Charles est incapable de jouer, pendant ce concert... c'est ce solo final. John a mis plus d'un mois pour le mémoriser, en bossant comme un acharné pendant au moins dix heures chaque jour.

Il referma brutalement le journal et l'appuya sur le torse du garçon.

— Toi, tu l'as fait en une semaine.

Le regard que soutenait l'homme sur son élève devenait insupportable. Austin détourna les yeux en grimaçant, sentant son cœur faire bondir le carnet contre son torse. Il le prit dans ses mains et le serra, ne pouvant concevoir que cette journée était réelle.

— Je ne sais pas... souffla-t-il en sentant les larmes monter. Je ne peux pas.

— Austin...

Preto se rapprocha et posa une main délicate sur son épaule, lui adressant un regard empli de bienveillance.

— Pourquoi te lèves-tu, le matin ?

Surpris par cette question qui résonna en lui, le garçon fronça les sourcils. Ses yeux laissèrent une larme couler, mais la tristesse s'échappa. En même temps que la peur. Le professeur poursuivit en murmurant :

— Je sais que tu en as vu de dures, ces deux dernières semaines. Je peux le voir quand tu me regarde.

Pour toute réponse, le garçon baissa les yeux, tentant de combattre le tremblement qui s'emparait de chacun de ses membres, l'un après l'autre.

— Le monde n'ira pas mieux demain, tu sais... Peut-être même que ce sera pire. Il y a beaucoup, beaucoup de changements à faire. Mais ce soir, tu peux faire le premier pas... pour toi.

Il sourit, laissa échapper un rire nerveux, et tourna son regard vers le ciel, la tête dans les nuages.

— Je me souviens du petit garçon qui est entré ici pour apprendre la guitare, un jour. Celui qui me répétait à chaque cours, avec un entrain incomparable, qu'il ferait changer les choses...

Preto marqua une pause, tapotant l'épaule de son élève devenu un jeune homme.

— Relève la tête.

Austin obéit, les yeux gorgés de larmes.

— J'ai besoin de ce petit garçon, ce soir.

Le professeur débrancha le casque audio et laissa son doigt parcourir les six cordes de la guitare. Le son qu'elle produisait était si clair, doux et agressif à la fois.

— Aucun d'entre nous ne sait combien de temps il vivra. Il faut se concentrer sur ce qui compte, le reste n'a aucune importance.

Il attrapa la guitare par le manche et la pointa du doigt, devant son élève.

— Ta guitare, c'est ton arme. Montre au monde, que rien n'est impossible.

Austin hocha vigoureusement la tête en récupérant l'instrument. Recroquevillé sur sa chaise, il n'avait plus aucune idée de ce qui allait se passer. Tout s'entrechoquait, dans son esprit. Seule une pensée remonta à la surface de cet océan chaotique. Le sourire de Lou, au sommet de la grande roue.

— Hum... Je peux passer un coup de fil ?

Preto fronça les sourcils :

— Qui est-ce que tu veux appeler ?

— Un ami. Je... il a mis la petite en sécurité. Je devrais le prévenir.

Le visage de Preto s'éclaira soudainement. L'orpheline lui était complètement sortie de l'esprit, avec cette histoire. Il claqua des doigts et se tourna vers sa boîte de billets pour le concert.

— Je vais aller poser ça dans la boîte de tes parents. Je sais que ça fait rebelote, mais... ne bouge pas du studio, surtout !

Il passa l'encadrement de la porte, mais s'arrêta net. Il se retourna une dernière fois vers son élève, et afficha un sourire confiant :

... Tu vas y arriver, mon grand.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant