Dans la petite salle de concert de la maison de musique de Châtenay-Malabry, Elvis Preto était assis sur un siège de velours, se massant le front avec deux doigts. Sur la scène en face de lui, John le guitariste et sa troupe répétaient « Radio Gaga » de Queen. Charles Laren, le chanteur, tenait passionnément le micro et s'en donnait à cœur joie. Remarquant l'absence de Preto, il fit signe aux autres d'arrêter d'un geste de main. Le professeur de musique ne remarqua même pas la coupure nette de la musique. Charles tapota du bout de l'index sur le micro pour attirer son attention. Derrière lui, John pouffa de rire.
— Elvis... Allo la terre ?
— Hein ?
Tiré de sa torpeur, l'intéressé soupira profondément et se mit à applaudir sans grand entrain.
— Bravo, c'était super.
Les membres du groupes échangèrent des regards interloqués. Charles porta à nouveau le micro à ses lèvres, un sourire jusqu'aux oreilles :
— Mais... on a coupé en plein milieu, Elvis. Tu m'as l'air à l'ouest, mon pote. Il faut dormir, la nuit.
— J'ai bien dormi, merci. Toi, tu devrais arrêter de te prendre pour Freddy Mercury quand tu tiens ce micro.
Le reste de l'équipe éclata de rire, devant la mine vexée du chanteur. Le batteur, Sam Richard, fit tournoyer ses baguettes entre ses doigts, et tapota deux caisses puis une cymbale, pour marquer la fin de la blague de Preto. Charles croisa les bras et secoua la tête. Du fond de son siège, le professeur de musique les observait d'un air triste. Il n'était pas d'humeur à rire, lui non plus.
John réactiva le son de sa guitare, régla la résonnance au maximum et laissa glisser son doigt sur la corde de Si, grattant frénétiquement un assemblage de notes ridicules avec son médiator. Charles se retourna brusquement :
— C'est quoi, ce truc ?
— Couches Pampers. Le remix.
Sam en lâcha ses baguettes, à bout de souffle. Au piano, Hugo replaça sa casquette sur ses longs cheveux et souffla :
— On peut y retourner, les gars ? Sérieux, il ne reste plus que 18 jours avant le jour J.
— Ça va, pardon... Il n'est que huit heures du matin, s'excusa John en réduisant sa guitare au silence.
Preto se leva et s'avança vers eux, les mains dans les poches. Une fois devant la scène, il leur lança un signe de tête, en se grattant la tête :
— Alors... Ce sera quoi, votre final ?
Charles se racla la gorge, porta le micro à sa bouche et effectua quelques pas de danse, avant de souffler dans un murmure :
— « Bohemian... Rhapsody » !
Il s'immobilisa, observant d'un œil attentif à quel point il venait d'impressionner le professeur de musique. Ce dernier croisa les bras et secoua la tête.
— Non, désolé.
— Quoi ?
— C'est impossible, lâcha Preto en haussant les épaules. Vous avez déjà signé les droits pour « Radio Gaga » et vous ne pouvez pas jouer deux musiques d'un même groupe.
— Je te l'avais dit ! rétorqua John avant de se tourner vers Elvis. Notre final, ce sera « Comfortably Numb ».
Le professeur hocha lentement la tête, perdu au milieu de ses songes.
— Pink Floyd, alors. Pourquoi pas.
— Mais attention ! ajouta brusquement John. Pas n'importe quelle version... La version Pompéi !
Sur ces mots, le silence s'installa à nouveau dans la grande pièce sombre couverte de sièges rouges. Preto se laissa tomber dans l'un d'entre eux et repensa à son journal. Il marmonna :
— J'avais essayé d'apprendre ce solo, il y a un moment. Je ne suis jamais allé au bout.
John posa le bout de son pouce sur son torse gonflé d'un air fier.
— Eh bien moi, je le connais. J'ai encore besoin d'un peu d'entrainement, mais... Ça devrait le faire.
— Ce serait plus simple si on avait « Bohemian Rhapsody » grogna Charles.
Sam lui rit au nez :
— Dommage, « Fred » !
— On reprend, soupira Preto avant de replonger dans ses pensées.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...