Le parking était grand. Voilà la première chose qui était venue à l'esprit d'Austin lorsque la voiture se retrouva devant le grand magasin de sport. En balayant le lieu du regard, il aperçut la carrure sportive et les cheveux blonds courts de son ami, qui patientait d'un air grave contre un arbre.
Austin fouilla dans son portefeuille et tendit un billet à Lou, sans quitter Pierre-Louis des yeux.
— Il y a quelqu'un que je connais, ici. Je ne veux pas prendre le risque qu'il me voit. Tu penses que tu peux trouver le rayon tentes et sacs de couchage ?
Elle soupira en haussant les sourcils :
— J'ai des yeux, non ?
— Alors vas-y.
Elle lui arracha la monnaie de la main et quitta la voiture en claquant la porte. Le garçon surveilla son entrée dans le magasin depuis le rétroviseur, puis composa le numéro de son ami.
— Oui ?
— Jaguar rouge. Sur ta droite.
Il raccrocha et reposa le téléphone sur le tableau de bord. Son ami l'avait repéré. Il baissa les yeux en se raclant la gorge. La portière passager s'ouvrit. Il s'assit sans dire un mot et la referma doucement. Chacun fix ait droit devant lui, les mains sur les jambes. Pierre-Louis brisa le silence :
— Tu nous as foutu la trouille, Austin. Carla pensait qu'il t'était arrivé quelque chose.
— Comment t'as su que c'était pas le cas ?
— J'en sais rien ! S'exclama-t-il en tremblant. Un coup de bluff, j'imagine... Je te trouvais distant ces derniers temps, alors...
Austin plongea son regard grave dans celui de son ami, en serrant la mâchoire. Le jeune blond bégaya, cherchant ses mots sur ses lèvres.
— Putain, mec, je pensais pas que ce serait volontaire...
— De quoi ?
— Disparaître...
Le garçon s'enfonça dans son siège en soupirant, et croisa les bras. Pierre-Louis se pencha sur lui.
— Explique-moi, Austin.
Le garçon pouffa en secouant la tête.
— Tu ne comprendrais pas...
Mais le jeune blond insista.
— Il n'y a que moi, ici. D'accord ? Je n'ai mis personne au courant. Je suis là pour essayer de comprendre, justement.
Il marqua une pause et tourna plusieurs fois sa langue dans sa bouche, balayant le parking du regard en cherchant quoi dire.
— Je suis ton ami. Ça sert à ça, les amis. Parler quand ça ne va pas.
— Et tous ces gens, hier soir, ce sont tes amis, aussi ?
Brusqué par le ton d'Austin, Pierre-Louis se laissa retomber dans son siège.
— Ouais ! Et alors, qu'est-ce que ça peut te faire ?
— Arrête, l'un d'entre eux ne connaissait même pas ton prénom.
— Il était bourré, il...
— Tu ne connais pas la définition de l'amitié, Pierre-Louis !
Rouge comme une tomate, Austin haleta quelques secondes, se rendant compte du soulagement et de l'angoisse qui montaient en lui après avoir prononcé ces mots. Il osa affronter le regard sombre de son ami, qui le maudissait par la pensée, se demandant si ses oreilles ne lui avaient pas porté défaut.
— Toi non plus. Un ami ne part pas comme ça, sans prévenir.
— J'ai décidé sur un coup de tête... Je parie que tu étais tellement bourré que tu n'aurais pas pu me répondre si je t'avais envoyé un message, hier soir.
Les deux adolescents laissèrent passer un silence. Le jeune blond prenait sur lui pour ne pas laisser parler sa rage. Il se gratta énergiquement les cheveux et fit retomber la tension. Il plaça ses mains devant lui et s'immobilisa.
— Si tout ça, c'était sur un coup de tête... Tu comptes revenir ?
Austin secoua la tête, vérifiant que la petite fille ne revenait pas dans le rétroviseur.
— Je ne peux pas.
— ... Non mais qu'est-ce que tu me chantes, là ?
Le garçon ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Il laissa tomber ses mains sur le volant.
— Je ne sais pas comment l'expliquer... Tous les jours, se lever, déjeuner, aller au lycée, patienter sur une chaise, repartir, manger, dormir. Et recommencer le lendemain...
Pierre-Louis affichait une mine ahurie. Il passa une main dans ses cheveux et se frotta l'arrière du crâne.
— Je ne vois pas vraiment où est le problème...
— J'ai l'impression...de...
Le jeune blond ouvrit grand les yeux et l'encouragea à terminer sa phrase.
— De ?
— Passer à côté de quelque chose. Tu comprends ?
Pierre soupira, levant les yeux au ciel.
— C'est une drôle de façon de se chercher, si tu veux mon avis.
— Je dois partir.
Austin reprit son souffle, observant un instant son ami qui le fixait sans rien dire. Soudain, son visage semblait compatissant. C'était la première fois qu'il le regardait comme ça. La première fois qu'il avait le sentiment d'être compris.
— D'accord.
Il marqua une pause, croisa les bras et fronça les sourcils.
— J'ai vu une gamine quitter ta voiture, quand tu t'es garé. Tu ferais pas du trafic de mineurs, des fois ?
Austin pouffa :
— Te fous pas de moi.
Ils reprirent leur sérieux. Le garçon soupira :
— C'est une longue histoire. Disons... qu'elle n'a nulle part où aller.
Ils laissèrent passer un silence. Pierre-Louis dévisageait son ami avec un sourire compatissant en coin.
— Tu sais qu'il existe des organismes qui s'occupent de ça, hein ?
— Ouais... J'ai juste besoin de réfléchir un peu.
— Il y a un skate-park si tu tires au nord sur la sortie 85. Juste à gauche d'un Courtepaille. Il y a des gars sympas qui y dorment. Je t'aurais bien invité à la maison, mais... la police va te chercher...
— Je sais. C'est gentil.
Le jeune blond ouvrit la portière, mit un pied dehors et s'arrêta.
— J'espère que tu vas trouver ce que tu cherches.
Austin lui répondit par un léger sourire. Il suivit du regard son ami fermer la porte et s'éloigner, en remettant ses lunettes de soleil sur son nez. Il entendit toquer à sa fenêtre et sursauta. Le visage de la petite fille l'interrogeait du regard. Elle cria à travers la fenêtre :
— Tu viens m'aider à tout mettre dans le coffre ?
Il reprit son souffle, sentant son cœur prêt à bondir de sa poitrine, et mit le pied dehors.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...