Le garçon regretta rapidement son choix. Sur les coups de vingt heures, un gros bonhomme en costar cravate et qui s'exprimait d'une voix forte fit son entrée chez les Delorme. Depuis sa chambre, alors qu'il s'entraînait sur sa nouvelle guitare, Austin avait tressailli comme jamais auparavant. Ce gars-là ricanait comme un ogre sur le point de dévorer des enfants tout crus. Ses doigts figés sur les cordes, il n'osait plus bouger. La voix mélodieuse de sa mère l'appela quelques secondes plus tard.
— Austin, chéri ! Tu descends ?
Il déposa l'instrument sur son lit et obéit. L'homme était si corpulent que le garçon ne pouvait plus voir sa porte d'entrée. Le crâne rasé, des lunettes rondes de binoclard sur son nez pointu le fixaient. Ce bonhomme était exactement comme il l'imaginait. Il l'approcha d'un pas hésitant. Mais l'ogre ne lui laissa pas le choix. Il attrapa sa main et la broya sous les yeux de son père, un sourire narquois au bout des lèvres.
— C'est donc lui, votre fils ! clama-t-il avec assurance. Tu as la tête d'un futur expert-comptable, c'est moi qui te le dis !
Constatant que son fils allait tomber dans les pommes, Philippe tapota la grosse main de l'invité et afficha un sourire nerveux.
— Oui... Certes. Dites, vous ne regardez pas la télé ?
— C'est à moi que vous posez cette question ? Vous et moi savons que ce média existe seulement pour laver le cerveau de la plèbe, n'est-ce pas ?
Philippe hocha la tête, soulagé de voir qu'Alphonse ne reconnaissait pas Austin.
— Nous allons manger maintenant, si ça ne vous ennuie pas ?
L'invité pointa ses mains devant lui et déclara en jubilant :
— Je vous suis !
Chacun s'installa à sa place en silence, tandis qu'Austin tentait de remettre son poignet en place. L'invité se frotta les mains en ricanant.
— Alors, qu'est-ce que vous nous avez fait de bon, ce soir ?
— Des lasagnes, sourit Delphine.
— Mon Dieu ! Qu'est-ce que ça fait du bien, des bonnes lasagnes... J'espère que vous avez mis de la viande ? Je veux dire, beaucoup de viande. Je ne supporte pas les caprices de tous ces végétariens... Nos animaux se portent très bien ! Et puis, si l'on est au sommet de la chaîne alimentaire, pourquoi se priver ?
Les coudes sur la table et les mains jointes, le garçon observait d'un œil déjà lassé le gros bonhomme déblatérer ses premières idioties avec l'aisance d'un patron de firme trans-nationale. Delphine revint au salon, l'énorme plat pesant sur ses mains. Elle l'installa sur le beau dessous de plat noir qui trônait au centre de la table.
— Il y a de la viande, répondit Philippe avec un sourire forcé, ne vous en faites pas.
— Bien très bien.
— Je vous sers ? renchérit sa femme en plongeant une grosse cuillère au milieu des pâtes.
— Allez-y.
Avec deux de ses gros doigts, il souleva l'assiette vide et la tendit devant lui.
— Ne lésinez pas sur la quantité.
Delphine le servit d'au moins huit cuillères de lasagnes. Austin écarquilla les yeux, se demandant comment tout ça pouvait tenir dans son assiette. La simple vue de cette quantité astronomique le dégoûta. Philippe commença d'une petite voix :
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Le Journal des Vagabonds
Phiêu lưu« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...