Un rayon de soleil envahit le rêve d'Austin comme un brasier. Il ouvrit aussitôt les yeux. A côté de lui, la petite fille était encore assoupie, le front contre la fenêtre. A l'extérieur, il devina qu'il se rapprochaient des côtes. L'horizon aride, vert et sec s'étendait devant ses yeux. Et au fond, le bleu du ciel pouvait être confondu avec celui de la mer. Ils n'étaient plus si loin.
Il observa autour de lui. Le train était arrêté. Les deux enfants qui jouaient ne se trouvaient plus sur leurs sièges. Devant eux, les gens se regardaient d'un air intrigué. Cela semblait faire plusieurs minutes que le véhicule ne bougeait plus. Une voix grésillante se fit soudainement entendre dans les haut-parleurs.
— Mesdames et Messieurs, notre train semble rencontrer quelques soucis sur la voie. Veuillez rester à vos sièges ou dans votre rame, s'il vous plaît. Nous vous prions de nous excuser pour ce désagrément.
Le garçon pencha sa tête en avant, vers le siège de velours rouge devant lui. Un homme muni d'un chapeau de paille sur la tête lisait son journal avec la concentration d'un ministre.
— Monsieur ?
L'homme se réveilla en sursaut.
— Hein ? Quoi ?
— Oh, pardon... Je n'avais pas vu que vous dormiez. Je voulais vous demander l'heure.
L'intéressé rechigna vaguement et porta ses yeux à son poignet.
— Ce n'est pas grave. Onze heures du matin, mon garçon.
— Je vous remercie.
Austin retomba dans son siège et se frotta doucement les yeux. Ses bleus lui faisaient encore un mal de chien. Il tourna à nouveau le regard vers le paysage, laissant sa douleur s'échapper dans l'air, l'évacuant loin de sa tête. Absorbé par ce qu'il voyait, et par ces vitres lui permettant de se sentir dehors en restant assis, le garçon réalisa qu'il pourrait rester une éternité à l'intérieur de ce train. Voir le paysage défiler devant lui, à la place de sa propre vie. Sans s'en rendre compte, il resta plus d'une demi-heure immobile, laissant ses idées se bousculer dans sa tête, flottantes comme des bulles d'air.
— Mesdames et Messieurs, le problème technique est plus grave qu'il n'y paraît. Il nécessitera plusieurs jours de travaux sur la voie. Nous vous prions une nouvelle fois de nous excuser, et annonçons donc notre terminus exceptionnel ici, à Mornas.
Lou se réveilla, perturbée par la voix robotique qu'elle entendait au-dessus d'elle. Nez à nez avec la nature étendue, elle écarquilla les yeux. Sans détourner le regard, elle tira Austin par la manche et posa son index sale sur la vitre.
— Ce n'est pas ça... la mer ?
Il se mit à rire et secoua la tête :
— Non, c'est seulement le ciel. On la verra bientôt.
Puis, constatant que tous les passagers se levaient, la petite fille fronça les sourcils.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
— Le train a un problème. On doit sortir ici.
Elle jeta un regard suppliant vers l'horizon et insista :
— Mais... Comment on va faire ?
— Ne t'en fais pas, soupira-t-il en se levant. On va trouver une solution.
Ils quittèrent le wagon, posèrent pied à terre et respirèrent l'air sain qui planait au-dessus d'eux. Austin ferma les yeux, et se souvint de l'odeur d'égouts et de carbone de la ville bétonnée de Lyon, du bruit constant qui lui firent parfois frôler la schizophrénie, en route vers la gare.
Ici, tout était calme, et vaste. Le soleil les éclairait, et aucun nuage ne venait cacher le ciel. Ils se tenaient au pied d'une montagne, arborant en son sommet, ce qui ressemblait à une vieille forteresse de pierre. De l'autre côté, un grand ravin formait un mur de roche d'au moins cent mètres de haut. En dessous, des habitations de pierre étaient éparpillées dans les prés.
Austin et Lou suivirent le mouvement de foule du bus, écoutant râler les gens avec leurs accents du sud prononcés. En un clin d'œil, ils se retrouvèrent au beau milieu du village, dans les grandes allées vertes séparant les différentes maisons. Une pancarte « Hôtel » tapa dans l'œil du garçon. Il posa un doigt sur l'épaule de la petite fille.
— Hm ? fit-elle d'un air épuisé.
— Ça te dirait de reprendre des forces et se reposer un peu ?
Il pointa la bâtisse du doigt. Bien plus grande que les autres, ils n'auraient pas pu la rater. Un grand sourire s'afficha sur ses lèvres, ignorant son coquard au bout du malaire.
— Qu'est-ce qu'on attend ? répliqua-t-elle en s'élançant vers l'entrée.
— Attends-moi ! protesta le garçon en tentant de la rattraper.
Elle ouvrit brutalement la porte. A moins de trois mètres d'elle, une serveuse manqua de sauter au plafond, et laissa tomber son plateau de verres vides par terre. La vaisselle se brisa en mille morceaux sur le sol de bois. Tandis qu'Austin apparut à son tour, Lou posa une main sur sa bouche :
— Oh-oh....
Rouge écarlate, la serveuse s'empara d'un balai et rassembla les débris en un seul gros tas. Puis, elle détourna son regard vers la petite fille, et sourit maladroitement.
— Bonjour ! Que puis-je pour vous ?
Honteuse, la petite fille baissa la tête.
— Désolée...
La serveuse se pencha pour la rassurer, et découvrit ses blessures au visage. Elle afficha une mine ébahie, et posa ses mains sur ses épaules :
— Mais qu'est-ce qu'il t'est arrivée, pauvre petite ? Il faut soigner ça.
Austin avança vers elle, les mains dans les poches.
La femme releva la tête vers lui, et constata également ses coupures.
— Comment vous êtes-vous fait ça ?
— C'est rien de très grave, répondit Lou en haussant les épaules.
La serveuse se releva brusquement et hocha la tête une dizaine de fois au moins, en passant son regard de l'un à l'autre.
— Bien. Très bien. Des médicaments ? Non. Des pansements. Il faut des pansements, vite ! Ne bougez pas d'ici, je reviens !
Dans un air affolé, elle bouscula trois tables parfaitement préparées et disparut derrière dans une pièce réservée au personnel. Consternée, Lou se retourna doucement vers Austin, et croisa son regard au bord des nerfs. Elle l'imagina un instant les bras croisés et tapant du pied, comme un personnage de dessin animé.
— Qu'est-ce qui t'as pris, bon sang ?
— Je crois que je me suis emballée...
Il se contenta de soupirer. Lui qui s'attendait à ce qu'elle réplique, même ça, elle n'avait plus la force de le faire.
La serveuse surgit en trombe avec quatre boites de pansements et manqua de tomber à la renverse, déséquilibrée par un chiffon.
— Attention ! s'écria la petite fille.
— Oh ! Quelle maladroite je fais. Merci...
Elle s'approcha d'eux et déposa les boîtes en ligne sur une table.
— J'espère que ça suffira. Venez donc vous asseoir, je vous en prie.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...