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Une demi-heure plus tard, la voiture s'engagea dans un parking sombre, éclairé par les lettres grésillantes indiquant « bar – restaurant » au-dessus d'une petite bâtisse aux tuiles en ardoise et aux murs de pierre. Austin tira le frein à main et coupa le contact. La petite fille se réveilla en sursaut.

— On est arrivés ?

— Non. D'abord, on va boire ce coup.

— Je pensais que tu plaisantais, tout à l'heure...

Il haussa les épaules :

— On vient de semer une voiture de police ! Si on ne peut pas trinquer à ça, alors à quoi ?

— Tu penses que je pourrais ? Je n'ai pas le droit...

— Eh bien moi, je te donne la permission. Si quelqu'un veut s'y opposer, qu'il le fasse !

Il ouvrit la portière et la claqua derrière lui sans attendre sa réponse. Toujours assise sur le siège passager, Lou demeura pensive un instant, mais ne put longtemps réprimer un sourire. En le rattrapant précipitamment à la manière d'un toutou, elle lui jeta un regard plein d'étincelles :

— C'est vrai ?

— Ben... ouais. Juste un verre.

Elle serra les dents, trépignant d'impatience.

— Trop chouette, mon père n'a jamais voulu me faire goûter dans son verre.

— A neuf ans, ça ne m'étonne pas.

Austin poussa la porte battante du pub. Une petite clochette sonna au-dessus de sa tête. A l'intérieur, tout était sombre. Les murs boisés étaient faiblement éclairés par des lampes à huile disposées aux quatre coins des tables. Au fond de la pièce, un homme portant des bretelles interprétait « La lettre à Elise » de Beethoven sur un vieux piano à queue désaccordé. Le barman, muni d'une grosse moustache et d'une barbe de trois jours mal rasée, les observait d'un regard soutenu. Il semblait triste comme une pierre. Derrière lui, un feu de cheminée réchauffait l'air. Le bois craquait dans le silence. Quelques clients dégustaient leurs assiettes, assis à leur table.

— Est-ce que je vous sers quelque chose ? Maugréa le moustachu.

Austin donna un léger coup de coude à la petite fille et chuchota :

— Bon Dieu... On se croirait dans un western...

— Un quoi ?

— Le grand brun et la petite blonde, est-ce que je vous sers quelque chose ?

— Pardon... bredouilla le garçon en s'approchant timidement. On va vous prendre deux verres.

L'homme souffla et se retourna vers son bar. Austin contempla le mur rempli de bouteilles, dessinant un arc-en-ciel de couleurs à l'intérieur à travers le verre. Ses yeux roulèrent de gauche à droite, soucieux du choix ardu auquel il allait faire face. Puis, il jeta un coup d'œil à l'ardoise situé à droite, inscrivant la liste des cocktails.

— Un mojito, s'il vous plait.

— Un coca, pour la petite ?

Lou secoua la tête.

— ... Fanta ?

— Elle veut goûter... Quelque chose d'alcoolisé. Si c'est possible.

L'homme s'esclaffa et empoigna un verre trempé qu'il essuya en plongeant un chiffon dedans.

— Normalement, non... Et toi mon, gars, tu es majeur ?

Austin fouilla dans sa poche et en sortit son portefeuille, plaquant sa carte d'identité devant le nez du barman.

— Mmmmh. Et elle veut quoi, dans ce cas, la jeune fille ?

Lou se pencha sur le bar, une main sous le menton, fronçant les sourcils devant la tonne de possibilité qui s'offrait à elle. Son regard s'arrêta brusquement sur une petite bouteille longue, contenant un liquide jaunâtre. Elle plissa les yeux pour lire l'étiquette :

— Limon... Cello. Donnez-moi un verre de ça !

— Certainement pas, répliqua Austin. Je ne vais pas te faire commencer avec quelque chose à trente degrés.

— Trente degrés ? répéta-t-elle, perdue.

Le garçon éluda sa question et se tourna vers le barman.

— Donnez-lui un Monaco. En demi. Merci.

Le serveur s'exécuta, frottant sa moustache du bout des doigts.

Il posa brutalement les deux verres sur le comptoir, révélant ses biceps saillants et la tonne de tatouages qu'il portait aux avant-bras. Lou s'empara de son verre gelé d'un air hésitant, l'observant sous toutes ses formes avant de trouver le regard d'Austin. Son verre à lui, faisait bien plus envie. Des feuilles de menthes et des fines tranches de citron vert noyées entre des milliers de petits glaçons. Il sourit :

— Santé.

Il vida pratiquement le verre d'un trait. Comme d'habitude, dans tous les bars, les serveurs étaient plutôt radins sur le rhum. La petite porta doucement ses lèvres à son verre, et laissa le liquide rougeâtre pénétrer sa gorge. Elle attendit, grimaçant soudainement. Puis, elle secoua frénétiquement la tête.

— C'est pas bon.

Le garçon et le barman s'esclaffèrent. Austin lui prit son verre et demanda à l'homme de lui apporter un coca.

— C'est pas grave, je vais te le finir.

— Avant de conduire, tu penses que c'est une bonne idée ?

Il haussa les épaules :

— On dormira sur le parking.

L'homme, qui leur prêtait une oreille, se retourna en grattant sa barbe.

— Dans ce cas-là, vous allez bien manger un truc ?

Les intéressés restèrent silencieux. En y repensant, leur estomac commençait à être creux, malgré les viennoiseries qu'ils s'étaient payés.

— Steak frites maison, ajouta le barman. Dix euros par personne. Vous trouverez pas meilleur sur la route.

Le Journal des VagabondsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant