Les rayons du soleil traversaient les arbres et le pare-brise de la voiture, illuminant le visage du garçon. Il ouvrit lentement un de ses yeux noisette, et baissa le pare-soleil d'un geste brusque. Il se replaça dans sa position initiale, les bras croisés sur son torse. Aujourd'hui, nous étions le 4 avril. Il avait fait une fugue avec la voiture de son père. Il n'était pas allé à cette soirée avec ses amis, et n'avait donné aucun signe de vie. Bientôt, tout le monde se mettrait à le chercher. Impossible de se rendormir. Il décroisa les bras et jeta un rapide coup d'œil dans le rétroviseur. La petite dormait toujours à poings fermés. Il se pencha jusqu'à la boîte à gants et en sortit une grosse liasse de billets. Il compta sur le bout de ses lèvres jusqu'à 488. C'était ce qui lui restait après avoir payé à manger pour eux deux. Tout ce qu'il avait pu retirer d'un coup sur la carte de ses parents.
Cette dernière était posée sur le tableau de bord. Il fronça les sourcils un instant, puis s'en empara et la tordit en deux de toutes ses forces, à contrecœur. La police savait peut-être déjà qu'il avait emporté la carte avec lui. Il observa longuement la liasse qu'il tenait entre les mains. Il devrait se débrouiller avec ça, maintenant.
Il se frotta les jambes pour se réchauffer et déverrouilla son portable. 8 heures 37. Les messages fusèrent. Plusieurs de David, Clara... Un de son père. Son contenu lui fit froid dans le dos. « La police est à la maison. Rentre immédiatement. ». Son regard s'arrêta sur un message de Pierre-Louis, envoyé il y a seulement quelques minutes : « Je sais pas ce qui te prend. Retrouve-moi sur le parking de Decathlon à 15h. Personne d'autre n'est au courant, je te le jure sur la vie de Carla ».
Austin s'apprêta à ouvrir son portable. L'aspiration soudaine de la petite fille le fit sursauter. Il posa le téléphone entre ses jambes, les yeux fixés sur le rétroviseur intérieur. Lou s'étira en se frottant les yeux, faisant glisser le sac de couchage le long de ses jambes.
— Bien dormi ?
— Ouais...
Elle se mit à bailler soudainement, et se redressa en tailleur, ébouriffant ses cheveux. Elle fouilla dans sa poche et en sortit un flacon de shampoing.
— Tu sais s'il y a des douches, ici ?
Surpris par la question, Austin balaya l'endroit du regard et fit un signe de tête devant lui.
— Dans les toilettes publiques, sûrement. Je te garantis pas la propreté, en revanche.
— Ça va, j'ai l'habitude.
Elle sortit de la voiture. Le garçon l'imita, lui emboîtant le pas. Après quelques mètres, elle se retourna et l'observa en plissant les yeux face au soleil :
— Je peux y aller toute seule...
— Je vais te tenir la porte, histoire que personne ne rentre.
Elle haussa les épaules et se remit à marcher.
— Si tu veux.
La petite fille se déshabilla sur le carrelage froid et tourna le robinet. L'eau était à peine chaude. De l'autre côté de la porte, le garçon se mouilla le visage plusieurs fois, les yeux rivés sur le miroir qui lui faisait face. Rarement avait-il aussi mal dormi. Il sentait le goût amer de la gueule de bois lui piquer la gorge. Ses mains se resserrèrent sur le lavabo. Son visage s'assombrit.
— Bordel... Qu'est-ce que tu fous ?
Il resta immobile devant l'entrée des toilettes, jusqu'au retour de Lou.
...
A dix minutes de l'autoroute, Austin gara la voiture devant un camion qui faisait snack. Il jeta un coup d'œil à sa montre. Elle indiquait 12h30. Sur le siège passager, le ventre de la petite fille gargouilla bruyamment. Le garçon esquissa un rire, ne lâchant pas des yeux les tonnes de frites entassées dans la machine à frire, derrière le cuisinier.
— Je vois que tu as aussi faim que moi.
Il ouvrit la portière et souffla :
— Allez, viens. Je t'invite.
— Très drôle, ironisa-t-elle.
Dix minutes plus tard, ils étaient assis face à face autour d'une table en fer, devant le camion. L'homme enrobé, muni de sa toque de chef, leur apporta deux hot-dogs et des barquettes de frites.
— Et voilà messieurs dames !
La petite fille sursauta, surprise par la voix gaie de l'homme souriant.
— Merci beaucoup.
Une nouvelle fois, Lou dévora son déjeuner sans dire un mot. Austin se demanda comment un être humain pouvait aller aussi vite... La prestation à laquelle il assistait lui coupa presque l'appétit. Une fois son plateau vide, la petite se laissa retomber dans sa chaise, joignit ses mains et ferma les yeux. Les bleus sur son cou étaient plus visibles que jamais. Austin termina son repas et les pointa du doigt.
— Ces traces, là...
Elle ouvrit un œil et fronça les sourcils, attendant la suite de la phrase. Le garçon cherchait ses mots.
— Près de ton cou...
Elle passa une main dessus et tira le col de son tee-shirt vers le haut pour les cacher.
— C'est dans le foyer que tu t'es fait ça ?
Elle inspira un grand coup en se mordant les lèvres, laissant le garçon lui découvrir des yeux tristes. Elle hocha doucement la tête. Austin termina son coca d'une traite et poursuivit :
— Comment ?
Elle baissa les yeux sur le plateau-repas et commença à faire rouler sa barquette de frites vide au bout d'un doigt. Elle la laissa tomber soudainement et plongea son regard dans celui du garçon.
— Et toi ? Tu ne devrais pas être en cours ?
Austin réfléchit un instant, et secoua la tête :
— On est samedi.
Lou ravala sa salive sans rien répondre. Amusée, elle relança :
— Donc tu retourneras à l'école lundi, j'imagine.
Il haussa les épaules et croisa les bras sans répondre. La petite fille le chercha du regard en insistant :
— Quoi ? Tu ne veux pas y retourner ?
Austin souleva son plateau en se redressant et marmonna :
— Tu ne veux pas répondre à mes questions, je ne vois pas pourquoi je répondrai aux tiennes. Va dans la voiture, je débarrasse.
Il jeta les déchets dans la grosse poubelle verte à proximité du camion et ouvrit son portable. Il lut plusieurs fois le message de Pierre-Louis, et jeta un coup d'œil à la petite qui s'assit dans la voiture. Il porta ses pouces à son clavier.
« Ok, j'y serai. »
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...