Le Journal des Vagabonds

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Quatre heures du matin. Incapable de trouver le sommeil, Austin s'efforçait de lutter contre le froid en bougeant ses doigts. Ils ne le faisaient plus souffrir, désormais. Il balaya la gare du regard. Aucun signe de policier, ou d'âme qui vive. En face, seulement Assane, Ousmane et Duma à même le sol. Sans couverture. Lou s'était endormie, il y avait plus d'une heure de cela, après avoir vidé une des bouteilles d'un trait. La tête posée contre l'épaule du garçon, elle était partie dans un rêve paisible. La couverture la recouvrait et la protégeait tant bien que mal des coups de froid qui filaient à toute vitesse dans le long et grand couloir.

Doucement, Austin s'empara de la guitare et ouvrit le journal sur la page « Gimme Shelter » des Rolling Stones. Il corna la page, posa ses doigts éraflés sur les cordes, et gratta. L'absence de la corde de Ré se fit immédiatement sentir, si bien que la mélodie complexe qu'il tentait de mettre en place n'avait plus rien de mélodieux. Mais il pouvait l'imaginer. Le bruit qu'elle ferait, en fonction du placement de son doigt sur le manche. Il ferma les yeux, se laissant submerger par le son des cordes. Même dans leur état, ses doigts bougeaient tout seuls. Ils savaient ce qu'ils devaient faire, et ne pouvaient plus se tromper. C'était comme faire ses lacets. Et pourtant, il n'avait posé les yeux que quelques secondes sur la partition. Elle restait imprimée dans sa tête, il ne voyait plus que ça.

— Ouvre les yeux , petit blanc.

Austin se figea, tétanisé. Même les yeux fermés, il reconnaissait la voix entre mille. Lentement, il ouvrit les paupières, sentant son cœur s'accélérer à la vue de l'homme au foulard. Derrière lui, trois autres individus lui lançaient des regards agressifs. Junior lui arracha soudainement la guitare des mains et la brandit par le manche.

— T'aime faire sonner ce machin pendant la nuit ? Tu vas adorer ça !

Le garçon ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Sous ses yeux, son agresseur pulvérisa l'instrument contre le sol. Les cordes se mirent à vibrer, émettant des sons de plus en plus déchirants et désaccordés. La caisse de résonance vola en éclat, brisée en dizaines de morceaux de bois. L'un des fragments fonça droit devant les yeux d'Austin. Il esquiva au dernier moment. L'objet lui trancha la peau de la joue. Lou se réveilla en sursaut. Les yeux écarquillés, elle observa la scène sans dire un mot.

— Alors, t'aime ça ? rugit Junior en hurlant de rire.

A côté d'eux, la vieille dame dormait toujours comme un bébé. Elle faisait sûrement partie de ces personnes qu'un tremblement de terre ne réveillerait pas. A bout de souffle, le noir au foulard essuya son front d'un revers du poignet. Il ne tenait plus que le bout du manche dans la main, toutes les cordes recourbées ou coupées en deux. Le reste de la guitare gisait au sol de la gare, divisé en morceaux tous plus petits les uns que les autres. Junior jeta le manche vingt mètres plus loin et lança un sourire assassin à la petite fille.

— Coucou, petite blanche.

Le sang d'Austin ne fit qu'un tour. L'adrénaline s'empara de son corps. Il se retint une seconde de sauter à la gorge du jeune homme et serra ses poings aussi fort qu'il le put. Il sentit une pression dans son bras, de la part de Lou. Junior se rapprochait dangereusement d'eux, et ne cessait de la fixer. Le garçon passa la main sur la droite, et attrapa du bout des doigts la barre de métal qui servait de canne à la vieille dame.

— Tu veux venir jouer avec nous ?

Paralysée par la terreur, la petite fille sentit une larme couler le long de sa joue, tandis que ses lèvres tremblaient frénétiquement. Austin serra la canne dans sa main.

— Hé !

Junior se retourna brusquement. Assane, Duma et Ousmane se tenaient derrière eux. Le pianiste poursuivit en balayant le sol du regard :