Austin déglutit, plongea les mains dans ses poches et suivit l'étrangère. Il remarqua des dizaines d'attrape-rêves accrochés au-dessus du seuil. La porte argentée arborait une poignée dorée, à moins que cela ne fut de l'or massif. Elle l'ouvrit et l'invita à entrer. A l'intérieur, Austin se sentait encore dehors. Il y avait des vitres partout, des grandes plantes grimpantes dans les quatre coins des murs. Le sol était fait de planches de bois. De beaux tapis à la couleur claire amenaient de la douceur. La dame retira la couverture qu'elle jeta sur un canapé, dévoilant une magnifique robe serrée bleu ciel. Elle déposa le mug sur sa table basse et joignit ses mains dans son dos, observant le lieu avec satisfaction.
— Je m'appelle Olivia. Cette maison, c'est moi qui l'ai construite.
— Bon Dieu, soupira le garçon, ça doit coûter un fric fou.
Elle hocha fièrement la tête et se dirigea vers les escaliers. Austin remarqua que chaque marche était dessinée comme une note de piano, avec une partie blanche et noire. L'escalier formait un clavier entier. Il s'esclaffa malgré lui :
— Dis-donc ! Ça, c'est fort...
Olivia hocha à nouveau la tête et grimpa. Le garçon constata avec peine qu'il lui manquait deux doigts à la main droite. Il la suivit en restant silencieux, et jeta un coup d'œil par la fenêtre. Lou avait les sourcils froncés sur le piano. La petite tête du chien dépassait du clavier, et sa langue frottait contre une des touches noires. En le remarquant, la petite fille se mit à rire aux éclats.
Olivia se tourna vers Austin.
— Tu me suis toujours ?
— Oui, pardon...
En silence, ils se dirigèrent vers une porte en bois de hêtre au fond d'un couloir. La dame ouvrit la porte, dévoilant un espace clos jouissant d'une fenêtre sur le toit, transportant la lumière au milieu de la pièce. Une quantité étonnante de tableaux peints étaient rangés ou affichés sur les murs. Un chevalet et deux chaises trônaient au centre. Olivia prit place sur l'une d'elles et indiqua l'autre de sa main à Austin. Une fois installés, elle croisa les jambes et y posa ses mains, observant la pièce d'un geste lent. Elle déclara finalement :
— Ce matin, pour le lever du soleil, je suis sortie me promener avec Ruby, sur la plage. On aime tous les deux beaucoup ce moment. Seulement, nous avons vu une petite fille pleurer, en venant vers nous. Ruby, inquiet comme il est, s'est mis à courir en aboyant, sans me laisser l'espoir de le rattraper... Lorsque je lui ai demandé son nom et ce qui n'allait pas, elle m'a répondu qu'elle s'appelait Lou, puis s'est effondrée dans mes bras.
Elle marqua une pause. Ressentant un sentiment de honte grandissante, le garçon baissa les yeux, incapable d'affronter le regard d'Olivia. Pourtant, il ne décelait aucun jugement dans ses yeux. Elle reprit avec un air interrogatif :
— Pourquoi souhaites-tu l'abandonner ?
Les lèvres tremblantes, Austin bredouilla :
— Non... Ce n'est pas ça.
— Alors, quoi ?
Il secoua la tête, se prit la tête dans ses mains et resserra ses poings sur ses cheveux.
— Elle n'est pas en sécurité avec moi... Je veux dire, c'est bien plus dur que je ne le pensais. Je suis fatigué. J'ai juste envie de rentrer chez moi.
Olivia décroisa les jambes et posa ses coudes sur ses jambes, se postant en avant et soutenant son regard.
— J'ai suivi votre disparition, avec mon petit écran de télé, depuis dimanche dernier. J'avoue que ça m'a beaucoup surpris... Un adolescent et une petite fille qui disparaissent le même jour, un témoin qui dit les avoir vu ensemble aller vers le sud. Ce qui paraissait étonnant, c'est qu'il était peu probable que vous vous connaissiez... Mais c'était le cas, n'est-ce pas ?
— Non.
Surprise, la dame à la robe mauve se leva brusquement de sa chaise et frappa des mains.
— Un signe du destin, alors ?
Austin haussa les épaules, sans montrer d'entrain.
— Peut-être...
Un silence s'installa quelques secondes. Olivia jeta un coup d'œil par la fenêtre. Le husky aux yeux bleus courait après un essaim de mouettes qui s'était posé sur le sable blanc. Les oiseaux s'envolèrent dans une bourrasque, battant furieusement des ailes au-dessus des flots. La dame sourit :
— Ruby a toujours été curieux. La petite aussi, n'est-ce pas ? Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais vu la mer.
Le garçon s'enfonça dans le dossier de sa chaise et plongea les mains dans ses poches.
— C'est pour ça qu'elle est venue ici.
— Et toi, alors ? Pourquoi tu es là ?
Nouveau silence. Les bras croisés, Olivia décocha un petit sourire en se tournant vers lui.
— ... Tu es pianiste ?
Eberlué, Austin fronça les sourcils et manqua de tomber à la renverse. Il bredouilla :
— Non, enfin... Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
Elle se pencha et s'empara d'une toile représentant le piano qui trônait dans le sable et marmonna :
— Ça n'a peut-être rien à voir, mais j'ai fait des études de psychologue, quand j'étais jeune. Ta façon de regarder le piano, quand tu es arrivé... m'a fait comprendre que tu étais musicien. Alors, c'est quel instrument ?
— ... Guitare.
Olivia reposa la toile, satisfaite.
— On dirait que je me souviens de mes cours. C'est dommage, je n'ai pas ça, ici.
Austin acquiesça. Il se leva à son tour et se dirigea d'un pas hésitant vers la fenêtre. Lou courait inlassablement après Ruby, qui tentait toujours d'attraper une mouette. Elle n'en finissait plus de rire, et se laissa finalement tomber dans le sable, le regard tourné vers le ciel. Elle ferma doucement les yeux, ne s'étant jamais sentie dans un tel havre de paix, auparavant.
— C'est pour la musique que tu es parti, Austin ?
— Oui.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...