Le soleil couché, un froid léger s'était installé sur la dune, qui se rafraichissait. La marée montait doucement. Contre les roches, Austin et Lou se faisaient face, assis en tailleur autour d'un feu. Les bouts de bois secs craquelaient à mesure que les flammes grandissaient. Silencieux, Austin se leva soudainement, se mit pieds nus et détacha Prince pour l'emmener se rafraîchir dans l'eau salée. Émerveillée, Lou prit une poignée de sable dans la main et en laissa s'échapper un petit filet dans le creux de sa mains. Comme dans un sablier, les grains s'écoulèrent dans un bruit reposant, formant une montagne devant les les yeux de la petite fille. Le garçon revint s'asseoir et mordit dans son sandwich acheté dans le village une demi-heure plus tôt. Il leva les yeux au ciel et observa les étoiles, pensif.
— La musique qu'on a entendu, en arrivant... Tu la joues ?
— Ouais.
— Evidemment. Tu sais tout faire, en fait.
Il secoua la tête en avalant une bouchée.
— Loin de là, rassure-toi.
Elle resta muette un instant, tournant une énième fois son regard vers la mer et murmura :
— Tu es parti pour apprendre toutes ces chansons, dans le carnet... C'est ça ?
Brusqué, Austin reposa son sandwich sur le sable et haussa les épaules.
— J'en sais rien.
— En tout cas, désolée... Tu ne peux plus rien jouer, maintenant.
Il secoua la tête.
— Je t'ai déjà dit que ça allait.
Lou enfila son bonnet bordeaux en sentant des frissons lui parcourir le crâne, et mordit à son tour dans son jambon-beurre. Un sourire satisfait au bout des lèvres, elle balaya l'environnement du regard. Austin. Prince. La mer. C'était l'une des premières fois depuis longtemps, qu'elle se sentait heureuse.
— Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ?
Le regard grave, le garçon l'observa longuement, visiblement décidé à ne pas terminer son sandwich. La faim coupée, il le posa près du feu et soupira :
— Je ne sais pas.
Le sourire de la petite fille s'effaça.
— ... Comment ça ?
— Tu voulais que je t'emmène voir la mer. C'est fait. Ça ne te suffit pas ?
— Mais, je...
Austin monta brusquement le ton, contractant sa mâchoire et faisant apparaitre les veines de son front :
— On a failli se faire arrêter par les flics, j'ai perdu la voiture, on s'est fait battre par des racailles, et maintenant tout le monde peut nous reconnaitre ! Tu voudrais que ça continue ?
Bouche bée, Lou trembla des lèvres, ne sachant que dire. Une larme roula sur sa joue. Le garçon se leva soudainement et posa ses mains sur ses hanches, la toisant.
— Si on se fait attraper, je risque la prison. Tu comprends ? On a disparu... C'est pas des vacances !
Indignée, la petite fille se leva à son tour, épousseta ses jambes et lui jeta un regard plus sombre qu'il n'avait jamais eu l'occasion de voir.
— Je ne t'ai jamais obligé à venir...
Touché, Austin ravala sa salive et son chagrin, et pointa un index autoritaire devant lui.
— Demain, je te ramène dans un centre qui pourra s'occuper de toi.
Lou secoua la tête, et éclata en sanglot.
— Non... Je ne retournerai pas là-bas !!
Il s'approcha d'elle, tentant de poser ses mains sur ses épaules. Elle lutta, lui filant des claques au mains. Mais le garçon parvint à l'immobiliser, plongeant son regard dans le sien.
— Regarde-moi ! Tu n'y retourneras pas. Ils vont te mettre dans un centre adapté. Tu verras, tu t'y sentiras bi...
Elle le repoussa sauvagement et lui tourna le dos. Austin se tut, se sentant soudain comme un pauvre imbécile. Il observa le dos de Lou en clignant des yeux. Elle tremblait. Il soupira et fit le tour du feu, se laissant retomber lourdement sur le sable froid. Il reprit son sandwich et mordit une nouvelle fois dedans, le regard vide.
— C'est la meilleure chose à faire, Lou. Je ne peux pas m'occuper de toi. Je ne sais pas faire. Alors, il est grand temps qu'on se sépare.
Il se frotta les mains et s'allongea sur le sable, ignorant l'affliction de la petite fille, résignée à lui obéir. Elle s'étendit doucement sur la baie et ferma vite les yeux, songeant qu'elle ne voulait pas gâcher les images qu'elle garderait de la mer. Elle avait beau se concentrer, tout faire pour penser à quelque chose de bien... impossible de sortir du gouffre qui s'était formé dans sa tête.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...