Les mains dans les poches, « barbe saillante » attendit que tout le monde ait quitté la salle pour parler.
— Austin... Tu peux me résumer le cours d'aujourd'hui ?
Il s'installa sur sa chaise et croisa les jambes, tapotant du doigt sur son bureau. Le garçon se mordit les lèvres, levant les yeux au ciel.
— Oui... On a parlé des firmes multinationales.
— Et puis ?
— Des firmes transnationales. Mais en fait, c'est la même chose.
— Austin...
Le professeur retira ses lunettes et se frotta les yeux un moment.
— ... Tu devrais voir ta tête quand tu es dans la lune. Même avec trente zouaves autour de toi, on ne peut pas te manquer.
Le garçon hocha lentement la tête en baissant les yeux. Le léger sourire qu'il s'était forcé à garder s'estompa. Le professeur remit ses lunettes et se pencha en avant :
— David a essayé de te parler pendant toute l'heure. J'aurais pu le reprendre, mais je me suis demandé pourquoi tu n'entrais pas dans son jeu. Vous avez un problème, tous les deux ?
— Non...
— Tes notes ne sont pas fameuses en ce moment. Que ce soit dans ma matière ou dans celle des autres. Si tu continues comme ça, je ne peux pas garantir que tu auras ton bac. Tu dois te ressaisir. Tu comprends ?
Un silence s'installa dans la pièce. Austin n'osait pas affronter son regard. Il s'efforçait de garder les yeux rivés sur sa plante de pieds, redécouvrant les traces d'usure de ses chaussures.
— Est-ce qu'il y a quelque chose dont tu veux me parler, Austin ?
— Non.
« Barbe saillante » hocha la tête avant de se relever.
— Bien. Je veux que tu aies la moyenne, au contrôle de demain. Allez, file.
...
— Et c'est tout ce qu'il a dit ?
Près de la boulangerie de l'école, Austin était assis sur un banc, ses amis autour de lui. David l'interrogeait du regard. Pierre-Louis caressait le dos de Carla, et Camille fumait en observant deux pigeons qui se chamaillaient pour quelques miettes de pain.
— Qu'est-ce qu'il aurait pu dire de plus ? « Austin, tu es nul, tu peux t'arrêter là » ?
— Ecoute, s'immisça Pierre, c'est arrivé à beaucoup de gens, ça. Les profs aiment faire des rappels à l'ordre.
Austin secoua la tête en soupirant, les coudes sur ses genoux.
— Pas celui-là. Pas comme ça.
Il marqua une pause, dessinant un cercle dans les graviers au bord du banc en bois.
— Et puis, les dés sont jetés pour Parcoursup, de toute façon.
David claqua des doigts :
— C'est vrai ça ! Qu'est-ce que tu as mis, déjà ?
— Quelques licences, des trucs de gestion, je sais plus trop.
Carla se dégagea lentement de l'emprise de son petit ami et s'assit à côté du garçon.
— Mais tu as bien un premier choix, chéri ?
Austin pouffa intérieurement. Ce « chéri » qu'elle avait l'habitude de sortir à tout bout de champ, lui rappelait étrangement celui de sa mère, lorsqu'elle lui demandait un service.
— Pas vraiment, non...
— Et le concours pour les écoles de commerce, le relança David, tu as commencé à le travailler ?
Il secoua la tête.
— Toi, oui ? Répliqua Pierre-Louis.
Le jeune brun hocha fièrement la tête en croisant les bras.
— Un peu, oui ! Je veux aller à l'ISTAG.
— L'ISTAG ?
— Ben ouais, mec ! C'est de loin la meilleure école que propose le concours !
— Mais pas du tout... L'ESTAM propose une ouverture à l'internationale beaucoup plus large. Ils t'accompagnent pour tes stages, ça coûte moins cher et soixante pour cent des professeurs là-bas viennent de l'étranger.
— Ouais... marmonna David, compliqué quand ils ne parlent pas bien le français ! T'es mignon, Pierre-Lou, mais l'ISTAG possède bien plus de partenaires, et certes, tu peux partir dans moins d'endroits, mais ceux-ci sont bien plus attractifs. Toi, tu partiras dans une université pourrie et pas rénovée depuis plus de trente ans...
Austin et Carla échangèrent un soupir, laissant les deux garçons débattre dans leur coin.
— Je peux pas supporter ces deux-là, quand ils sont ensemble... Soupira-t-elle.
Camille jeta son mégot à ses pieds et se tourna vers son amie :
— Meuf, tu m'accompagnes acheter un paquet ?
— Bien sûr, ma chérie !
Le garçon soupira. Il était tout seul sur le banc, face à ces deux imbéciles d'amis, chacun cherchant à montrer à l'autre qu'il avait raison. Il laissa ses yeux les dévisager de haut en bas, s'arrêtant sur leurs chaussures. Celles de David étaient sympa. En revanche, celles de Pierre-Louis...
La main de ce dernier se posa sur son épaule.
— Et toi, t'en penses quoi ?
— Heu...
Austin regarda sa montre en vitesse.
— On doit aller en cours.
Il se leva et s'éloigna en vitesse. Dans son dos, ils se mirent à ricaner :
— Ça va, nous sors pas l'excuse du prix ! Si tes parents ne peuvent pas te payer une école, personne ne le peut sur cette terre !
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...