Samedi 4 avril, 8h 10. Delphine pleurait toutes les larmes de son corps sur le canapé de cuir, la lettre toujours entre les mains. Contre sa volonté, ses yeux la relisaient sans cesse.
Papa, Maman,
J'ai réfléchi. Je vais partir. Je ne sais pas pour combien de temps. J'aurais dû le faire depuis longtemps. N'essayez pas de me chercher, c'est moi qui reviendrai. Ne m'en voulez pas.
Austin
— Quel idiot ! explosa-t-elle avant de la jeter par terre.
Les sirènes de police résonnaient au loin, se rapprochant du domicile des Delorme. Le portable de Delphine sonna. C'était Philippe : « Je fais au plus vite ». A peine commença-t-elle à répondre, que quelqu'un toqua à la porte.
— Madame Delorme ? Police, ouvrez s'il vous plaît.
Fébrile, la mère d'Austin se leva en tremblant et accourut à l'entrée de la grande et belle demeure. Elle concentra ses forces pour ouvrir le loquet et sécha ses larmes devant l'homme rondelet en costume bleu, qui se tenait les mains sur ses hanches.
— C'est vous, Delphine ?
La voix aigüe du gendarme la surprit, lui laissant presque échapper un rire nerveux.
— Oui...
— Papiers d'identité, s'il vous plaît.
Il porta deux doigts à sa bouche et siffla si fort qu'elle se boucha les oreilles. Immédiatement, les quatre policiers jusque-là assis dans leurs voitures débarquèrent au pas de course, saluèrent la maîtresse de maison en posant deux doigts sur leurs casquettes et passèrent le pas de la porte. Delphine tendit sa carte au gros bonhomme, qui lui montra la sienne à son tour.
— Chef de secteur Boris, Madame. Dites-moi ce qu'il s'est passé.
Delphine se retourna vers la lettre en secouant la tête.
— C'est comme je l'ai expliqué au téléphone... Mon fils a laissé une lettre, et il a disparu...
La radio du policier grésilla.
— Accrochage sur l'autoroute A83. Demande renforts immédiats.
Il s'en empara, éternua bruyamment et répondit de sa petite voix :
— Ici Boris, bien reçu. On est en chemin.
Il replaça l'engin dans sa ceinture et soupira :
— Ecoutez, madame, le commissaire arrive. Si une enquête doit être ouverte, c'est lui qui s'en chargera. Vous lui expliquerez ce qu'il s'est passé.
Le bruit d'un moteur attira son attention. Il pivota à 180 degrés et afficha un grand sourire.
— Le voilà !
Une vieille deux chevaux noire brillante s'immobilisa au milieu de l'allée de graviers. Un homme à la silhouette fine et taillée en sortit, habillé en costard noir. La chaîne d'une montre gousset dépassait de sa poche. Il portait des lorgnons, et passa une main dans ses cheveux ébouriffés. Il afficha son plus beau sourire en direction de Delphine, qui grimaça.
Boris grinça entre ses dents :
— Vous verrez, il est un peu... Vintage.
Les quatre policiers repartirent comme ils étaient entrés, et ne manquèrent pas de saluer à nouveau la mère d'Austin. Bientôt, il ne resta plus que la deux chevaux garée dans l'allée, et le commissaire, les mains dans les poches, qui fixait la femme.
— Vous êtes Delphine Delorme, mariée à Philippe Delorme, et avez Thiraud comme nom de jeune fille ?
Déboussolée, elle se contenta de hocher la tête.
— Commissaire Jenvier. Cela vous ennuie-t-il si je jette un coup d'œil à l'intérieur ?
Elle secoua la tête en silence.
Il passa un pas, puis l'autre, en faisant bien attention à poser son talon avant la pointe de ses pieds.
— Votre demeure est resplendissante, je dois dire...
Il passa ses doigts fins sur les meubles bien cirés, s'arrêta sur quelques photos de famille, devant lesquelles il plia sa moustache garnie. Il y en avait une en particulier. Un peu poussiéreuse, elle représentait Austin à six ans, qui tenait sa première guitare entre les mains, sur leur vieux canapé blanc qui avait fini à la déchetterie quelques années plus tard.
Un courant d'air s'infiltra par la porte d'entrée, faisant glisser le bout de papier sur le sol. Le regard de l'inspecteur s'y posa immédiatement. Toujours d'un pas calme et raide, il s'avança jusqu'à la feuille froissée. Il la pointa du doigt en observant Delphine du coin de l'œil.
— C'est la lettre d'Austin ?
La femme fronça les sourcils en hochant la tête. Elle n'avait rien dit à ce commissaire, et pourtant, il connaissait sa vie presque aussi bien qu'elle.
Il la déplia et la lut en bougeant les lèvres, puis la rangea dans sa poche.
— Pourquoi voulait-il partir, madame Delorme ?
Le ton accusateur qu'il venait d'employer la braqua. Les lèvres tremblantes, elle répliqua :
— Figurez-vous que je ne vois aucune raison ! Nous lui avons toujours offert ce qu'il voulait. Son père et moi avons travaillé dur, pour lui. Pour lui offrir la meilleure vie possible.
— Il faut croire que ça n'a pas suffi...
— Vous insinuez quelque chose, commissaire ? Siffla-t-elle.
— Pas tant que je n'ai aucune preuve, rassurez-vous. Avec quoi est-il parti ?
Elle haussa les épaules :
— Je n'en ai aucune idée ! J'ai lu la lettre, et je vous ai appelé directement après...
Une nouvelle voiture se gara en trombe derrière la deux chevaux. L'Audi noire de Philippe. Le père d'Austin sortit et claqua la porte furieusement, marchant d'un pas décidé dans la maison.
— Bonjour, Philippe, lança le commissaire.
Il lui adressa un rapide regard avant de se tourner vers sa femme.
— C'est quoi ce bordel ?
Les larmes aux yeux, elle bredouilla quelque chose d'inaudible. Jenvier se rapprocha d'eux et lui vint en aide :
— Votre femme et moi nous demandions justement ce qu'Austin aurait pu prendre avec lui lors de sa fugue.
Philippe se retourna et jeta un regard noir à l'inspecteur.
— Pourquoi mon fils serait-il parti ? Ça n'a pas de sens !
— C'est ce que je vais essayer de comprendre, monsieur Delorme.
Les deux hommes patientèrent, les yeux dans les yeux, que la pression redescende. Puis le commissaire se racla la gorge.
— Et si nous commencions par sa chambre ?
VOUS LISEZ
Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...