Austin se retrouva planté devant l'auto-école. En poursuivant son chemin quelques minutes sur la même route, il pourrait arriver à la maison. Il soupira. De l'extérieur, le bâtiment ressemblait à un étroit couloir entre deux boulangerie. De l'intérieur, c'était pire. Une petite salle, avec des sièges de plastique peu confortables. Au fond de la pièce, une vieille télé Samsung, sur laquelle était diffusée les questions de code. Austin salua la secrétaire sans trop d'entrain, puis s'engouffra dans cette salle obscure, faiblement éclairée par un néon au plafond. Il laissa tomber son sac le long de son bras, et s'écroula sur une chaise. La journée avait été longue. Il avait mal à la tête. Son père ne cessait de lui répéter de boire, pourtant. Mais Austin oubliait. Il était ailleurs, la plupart du temps.
Le test était lancé. La voix robotique, dont il connaissait chaque intonation par cœur, annonça la première question. Austin ferma les yeux. S'il avait pu, il se serait endormi là, tout de suite. Il ne gênerait personne, finalement. Mais il se reprit. Dès qu'il arriverait à la maison, son père lui demanderait : « Alors, quel score au code ? » avec un grand sourire, comme s'il espérait chaque jour qu'Austin lui réponde : « Oh, je n'ai fait que deux ou trois fautes ». Et parfois, c'est ce qu'il lui répondait. Mais pas aujourd'hui. Austin était trop fatigué pour mentir correctement. Alors il supporta. Il supporta les quarante longues questions du test, sans se préoccuper des réponses.
Lorsqu'il ressortit de l'auto-école, le soleil s'était couché. Les voitures circulaient difficilement. Elles klaxonnaient, sans cesse. Observant cette scène, la correction de la question 28 revint à Austin. La voix robotique résonna dans sa tête : dans cette situation, il n'y a aucune urgence. La voiture devant moi est lente pour accéder à l'intersection. Pourtant, s'énerver ne ferait qu'envenimer la situation. Je patiente, et je ne klaxonne pas. Réponse A.
Austin lâcha un petit rire, en observant ce véritable orchestre de klaxons. Puis, il tourna les talons, et reprit la route de sa maison d'un pas pressé.
...
Austin sonna devant le grand portail de fer et tapota du pied le temps que ce dernier ne s'entrouvre. Le garçon pénétra dans le grand jardin et traversa la longue allée en graviers blancs. Au bord de chaque côté de la pelouse, de gigantesques pots de fleurs aux milles couleurs et senteurs se tenaient sur l'herbe, tous à équidistance les uns des autres. Sans même y prêter attention, Austin se précipita vers la porte d'entrée. Il avait une tonne de boulot. Il fallait vite qu'il s'y mette, s'il voulait avoir le temps de se détendre ensuite.
Il fit tomber ses clés sur le seuil blanc impeccable de la maison.
— Putain, quel con ! grogna-t-il.
Il se baissa pour les ramasser, et ouvrit finalement la porte blanche, ornée d'un loquet doré pour toquer. A l'intérieur, l'odeur de son chez-soi l'accueilli. Il retira ses baskets illico, savoura un instant le fait d'avoir les pieds à l'air libre, et se dirigea vers le salon. Son père travaillait sur le canapé, lunettes sur le nez. Vêtu d'une chemise bleue, son regard s'était figé sur l'ordinateur qu'il portait sur les genoux. Sa tasse de café était posée sur la table basse en verre. La télé affichait une pub pour de la pâte à tartiner.
Philippe tourna la tête vers son fils, et lui sourit :
— Alors... Combien de fautes, au code ?
Austin posa son sac, et déclara :
— Onze.
Le sourire de Philippe s'effaça, petit à petit. Malgré tout, il essayait de cacher sa déception.
— Tu as fait bien mieux la semaine dernière, observa-t-il.
Evidemment, pensa son fils, j'ai menti, la semaine dernière.
— Et sinon, ta journée ?
Austin haussa les épaules, et ouvrit son sac pour sortir ses affaires de cours.
— Comme d'hab.
Il monta dans sa chambre.
Des questions de documents en histoire. Des choses auxquelles il ne comprenait rien. Il se contentait de répondre au hasard, comme presque tout le monde dans sa classe. Il avait beau tourner et retourner la question dans tous les sens, impossible de comprendre pourquoi les professeurs leur donnaient ce genre de travail. N'avaient-ils pas été élèves suffisamment longtemps pour remarquer qu'ils n'apprenaient rien, avec ça ?
Après ses devoirs, Austin jubila à l'idée de prendre sa douche. Souvent, les gens chantaient, à ce moment-là. Une fois, le garçon avait même reçu une vidéo d'un ami chantant une de ces musiques constituées uniquement d'un refrain qui durait tout le long de la musique. Austin, lui, ne chantait pas. Il réfléchissait. C'était le seul endroit, avec son lit, où il pouvait réfléchir. Savoir où il en était avec sa famille, son travail, ses fous rires, les filles... Il s'amusait même à prévoir les prochaines altercations entre ses amis.
Comme chaque soir après la douche, il mangeait à table avec ses parents. La télé ne restait jamais allumée, pendant ces moments « privilégiés pour discuter de sa journée » selon Philippe. Sur le tableau, Austin avait songé que ce n'était pas une mauvaise idée. Seulement, personne ne jouait le jeu, hormis pour parler de choses ennuyeuses. Le garçon s'était déjà surpris à quitter la table avant d'être repus, tant ces situations étaient insoutenables. De retour dans sa chambre, il regardait une série sur son ordinateur ou jouait à la PlayStation avant d'aller se coucher.
Une fois dans son lit, il songeait que la journée prenait déjà fin. Y compris ce soir du 31 Mars. Il jeta un coup d'œil à son portable et tomba sur une notification Facebook. La page de sa salle de musculation avait ajouté un nouveau contenu.
— Rien à foutre... soupira-t-il.
Il cliqua sur la notification pour la faire disparaître. La publication apparut devant lui. Un texte en blanc était écrit sur un fond noir. Austin s'attendait à ce qu'il y soit marqué « La salle sera fermée tel jour » ou quelque chose comme ça. Mais non. Il était plutôt inscrit : « Essayez d'accomplir quelque chose chaque jour, et vous atteindrez votre objectif ! ».
Austin resta muet devant la publication, durant un moment. Evidemment, le sous-entendu parlait du sport. Mais... et si l'on pouvait l'étendre à plus que ça ? Il éteignit son téléphone et le jeta sur son petit canapé. Il s'allongea sur le dos, la tête contre son oreiller, fixant le plafond.
Accomplir quelque chose chaque jour... pensa-t-il.
Et puis il se posa la question. Avait-il accompli quelque chose aujourd'hui ? A part recevoir une mauvaise note en philosophie, réussir deux ou trois équations de maths, et faire 29 sur 40 au code... Eh bien pas grand-chose. En fait, si. Il avait donné de l'argent à cet homme, qui jouait de la guitare. C'était la plus belle action qu'il avait faite dans sa journée. Pourtant, ça n'avait rien de la difficulté d'une équation de maths... Il lui avait suffi de marcher jusqu'au gobelet, et de fouiller un peu dans son porte-monnaie... En y repensant, Austin réalisa que le pauvre homme n'aurait peut-être pas gagné un rond aujourd'hui, sans le guitariste.
Les yeux rivés sur sa guitare, Austin se surprit à sourire. Mais sa joie s'effaça, en pensant au reste de la journée. Tout avait été si... normal... Les cours, les pauses, les gens qu'il appréciait, et les autres. Il avait sommeil. Les cours l'avaient épuisé. Mais il ne voulait pas dormir. Il voulait rester là, à se tourner et se retourner. Ses parents insistaient pour qu'il se couche plus tôt, pourtant. Résultat, il piquait du nez en cours. Austin faisait tout pour s'endormir le plus tard possible. À part travailler, avoir des discussions ridicules avec ses amis et se nourrir, et bien, il ne se passait pas grand-chose dans sa vie. Il se sentait si seul à penser de cette façon, qu'il se demanda s'il n'était pas le seul être vivant au milieu d'un champ de marionnettes.
Il secoua la tête en pouffant :
— Tu deviens égoïste, mon pauvre...
Il ferma doucement les yeux, abandonnant son espoir de pouvoir rester éveillé plus longtemps.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...