Mais non. Ce n'était sûrement pas eux. Aucun ne portait de foulard. Ils se contentèrent de se pencher sur le piano pour accompagner leur ami, dans les aigus et dans les graves. C'était magnifique. Une fois la musique terminée, le garçon se leva et marcha à leur rencontre. Le joueur à la casquette se retourna vers lui.
— Excuse-moi, tu veux en faire ?
Austin secoua la tête.
— Non, c'est que... Je me demandais ce que vous jouiez.
Les trois amis se regardèrent, et lui renvoyèrent un sourire.
— Tupac Shakur, ça te dit quelque chose ?
Il fronça les sourcils. Lui qui pensait tout connaître de la musique, ces gars-là lui posaient une colle. Le pianiste souffla du nez.
— C'est peut-être parce que ça fait longtemps. Il est mort. En 1996.
— Pour le changement, ajouta un de ses amis en s'approchant. Je m'appelle Ousmane.
Austin échangea une poignée de main avec lui. Il désigna le dernier des trois camarades, qui restait en retrait.
— Lui, c'est Duma. Il est muet.
Le pianiste s'avança à son tour, en retirant sa casquette.
— Assane. Comment tu t'appelles ?
Lou apparut derrière le garçon, tremblotante, et fit d'une petite voix :
— Austin... Tu as trouvé de l'eau ?
Il haussa les épaules, jetant un regard désespéré à Assane.
— Elle n'a rien bu depuis hier.
Ce dernier se tourna vers le piano, sur lequel était déposé un gobelet plastique à moitié rempli de pièces. Il en sortit quelques-unes et s'approcha de la petite fille. Il afficha une mine offusquée, en s'apercevant du coquard qu'elle portait sous l'œil droit. Il se pencha vers elle comme si de rien n'était.
— Tiens. L'Evian, c'est la moins chère des distributeurs. Tu peux en prendre deux, avec ça.
Lou lui adressa un sourire radieux et s'éloigna à petits pas, sans rien ajouter. Austin la suivit des yeux, lisant la peine dans ses yeux. Il y avait bien des organismes qui s'occupaient de ça. Comment pourrait-il y arriver tout seul ?
— C'est la première fois que je vous vois ici, lança Assane. Vous êtes quoi, des vagabonds ?
Le garçon hocha doucement la tête en se grattant les cheveux.
— Ouais.
Le jeune noir se pencha vers lui en plissant les yeux, tentant d'analyser la croûte de sang qui s'était formée sur sa mâchoire.
— Qui vous a fait ça ?
— Un groupe de mecs, à l'entrée de la gare.
Ousmane donna une tape sur le bras d'Assane, lui faisant signe de se retourner. Derrière eux, Duma mimait des signes incompréhensibles, cachant un sentiment de haine au fond des yeux. Le pianiste hocha la tête :
— Ouais, t'as raison. C'est sûrement Junior et ses frères. Lui et son foulard, il ne passe jamais inaperçu.
Les yeux d'Austin s'illuminèrent :
— Où est-ce que je peux le trouver ?
Ousmane lui rit au nez :
— Une fois, ça ne t'a pas suffi ?
— Il a volé notre argent. Si je ne le récupère pas... Je suis coincé ici. Et elle aussi.
Des pas résonnèrent soudainement, sur le sol lisse. Les quatre individus tournèrent la tête, s'attendant à voir revenir la petite fille. C'était l'agent à la mâchoire carrée, qui se tenait devant eux en croisant les bras. Il jetait un regard de chien enragé à l'encontre d'Assane. Austin recula d'un pas, désorienté. Le policier lui adressa un rapide coup d'œil et marmonna d'une voix rauque :
— Ils te cherchent des noises ?
Le garçon fronça les sourcils.
— Non... pas du tout.
— On discutait, ajouta Ousmane.
— Toi tu la fermes, répliqua l'homme en uniforme. Ne vous approchez plus de ce gamin.
Il se tourna vers Austin :
— Et toi, retourne t'asseoir contre le mur. C'est pour ton bien. J'irai vous chercher une couverture.
Avant qu'il ne puisse répliquer, il l'empoigna par le bras et le tira avec lui. Il se retourna et lança d'un air agacé :
— Et dégagez votre gobelet de ce fichu piano ! C'est pas pour vous, mais pour ceux qui attendent leur train.
Lou réapparut dans le couloir, deux bouteilles à la main. Le policier siffla pour l'attirer et lui ordonna sèchement de les rejoindre. Le garçon jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Assane et ses deux amis s'éloignaient dans la direction opposée, en silence.
VOUS LISEZ
Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...