De retour à la maison, Austin reçut un nombre incalculable de câlins de la part de sa mère. Il s'était contenté de lever les yeux au ciel et d'attendre que cela lui passe. Quand il y réfléchissait, elle était vraiment très émotive...
Après avoir séché ses larmes dans un mouchoir, Delphine soupira et se frotta les yeux en haussant les épaules.
— L'Irlande... C'est une excellente nouvelle, Austin. Tu auras l'occasion d'y voir tant de choses. Qu'est-ce que j'aimerais être à ta place !
— Maman... Où est papa ?
Elle monta un index en l'air.
— Sur le toit. Ça fait plus d'une heure qu'il y est... Je ne sais pas ce qui lui arrive.
Le garçon la remercia d'un signe de tête et grimpa les marches deux à deux, empruntant la fameuse échelle menant au grenier, pour ensuite rejoindre le toit en tuiles romaines. Philippe était assis en tailleur, le regard fixé vers l'horizon. Pour une fois, il ne portait pas de chemise, ou de tenue classieuse. Simplement un jean, et un tee-shirt. Austin ne put réprimer un sourire en constatant ce détail. Il tendit les bras à droite et à gauche pour garder l'équilibre et vint rejoindre son père, devant le soleil couchant. Ce dernier l'observa comme si le garçon était un martien descendu pour lui apprendre une nouvelle technologie du futur.
— Je ne pensais pas dire ça un jour, mais... tu as bien fait de ne pas m'écouter. Je dois l'admettre.
Il détourna immédiatement le regard. La légère brise qui soufflait enflammait ses yeux, qui se gorgèrent de larmes en un éclair. Il serra les dents et déglutit en se grattant les cheveux.
— Tu n'as pas ta chemise ? murmura son fils.
— Je n'en ai pas besoin, pour monter sur le toit. Ni pour voir le soleil se coucher...
— C'est une première.
Philippe ricana, puis observa son fils avec tendresse, un élan mélancolique dans le regard.
— Tu sais... tous les hommes ne sont pas comme moi. Certains sont... de bons pères.
Le garçon secoua la tête :
— Papa, tu...
— Ne perds pas foi en les autres, Austin.
Il y eut un silence. Cela rappela étrangement à l'adolescent la fois où il était petit. C'était comme s'il revivait cette conversation, dix ans plus tard.
— Papa... Je vais sûrement partir en Irlande. Le conservatoire de musique veut que je suive leurs cours.
S'efforçant d'abord d'enregistrer la nouvelle comme une bonne chose, Philippe Delorme hocha vigoureusement la tête, en séchant les larmes qui lui montaient.
— Je sais. C'est bien.
— Tu es sûr ?
Son père tourna sa langue dans sa bouche, caressant son menton du bout des doigts. Sans quitter l'horizon des yeux, il articula :
— Qu'est-ce que tu veux faire ?
Austin ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Les yeux fixés sur ses baskets, il imagina le bonnet rouge, les yeux bleus, le regard enfantin de la petite fille. Il haussa les épaules en soupirant :
— Je n'en sais rien...
Philippe posa une main sur l'épaule d'Austin et marmonna en plissant les yeux :
— Mon fils... Peu m'importe ce que tu choisiras, tant que tu le choisis pour toi. La vérité, c'est que tu es seul à décider de ce que tu feras de ta vie. Tu veux faire de la musique ? Vas-y. Tu veux aller en Irlande ? Très bien. Tu préfères rester ici, ou partir ailleurs ? Comme bon te semble. Je ne te demande qu'une chose...
Il marqua une pause, plongea ses yeux dans ceux de son garçon, et laissa rouler une larme.
— Quoi qu'il arrive... rattache-toi à la vie, Austin. Elle en vaut la peine.
Son fils sentit son cœur se serrer. C'était si étrange, d'avoir cette conversation avec un parent. Il prit une inspiration et souffla :
— D'accord.
Dans la maison d'en face, le portail s'ouvrit. Perchés sur le toit, les Delorme pouvaient voir la belle Audi noire entrer sur son terrain de gravillons bruyants, et se garer en pilote automatique. Le voisin, Augustin Tivelot, en sortit et les salua.
— Bonsoir, la petite famille !
Philippe lui rendit la pareille en affichant son sourire le plus faux, avant de se pencher vers son fils.
— Ce con d'Augustin a trompé sa femme pour un coup d'un soir, la semaine dernière. Depuis qu'elle le sait, elle est partie. Et elle ne reviendra pas.
Il marqua une pause et ricana en secouant la tête.
— Il fait comme si tout allait bien. Il s'attend à ce que l'argent le sauve ! C'est ridicule...
Au loin, la gigantesque boule de feu disparaissait peu à peu, derrière les rangées de sapins aux cimes balayées par le vent sauvage. La nature rappelait déjà Austin en s'époumonant. Le visage fixe, il s'y sentait attiré, comme par cette petite voix lui implorant de vivre sa vérité. Philippe secoua la tête, et murmura :
— Le monde... le monde n'est pas un endroit facile à vivre. Ne deviens pas l'acteur d'un tel système. Ce n'est qu'aujourd'hui que je réalise que... je suis peut-être passé à côté du bonheur.
Ensemble, le père et le fils se turent, observant le jour se coucher et venir la nuit. Séparés de presque un mètre, leurs cœurs n'avaient pourtant jamais été aussi proches. Austin observa Philippe du coin de l'œil, et lut en lui les milliers de regrets d'un homme, qui n'avait pas su faire preuve de courage lorsque la vie lui en avait donné l'occasion. Et tandis que le soleil le caressait de ses derniers instants de chaleur, le garçon se promit, de ne jamais commettre les mêmes erreurs.
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Le Journal des Vagabonds
Adventure« Je suis allé dans les bois, parce que je voulais vivre délibérément. Ne faire face qu'aux essentiels de la vie, et voir si je ne pouvais pas apprendre ce qu'elle avait à enseigner. Pour ne pas découvrir, quand je viendrais à mourir, que je n'avais...